L’Acid au Festival de Cannes : « Des films mieux vus »

Mariana Otero, coprésidente de l’Acid, expose les batailles à mener pour sauvegarder la diversité du cinéma.

Christophe Kantcheff  • 12 mai 2011 abonné·es
L’Acid au Festival de Cannes : « Des films mieux vus »
© L’Acid à Cannes présente neuf longs-métrages, précédés chacun d’un court. Projections à 11 h au Studio 13 et à 20 h aux Arcades, 04 93 99 53 18, http://www.lacid.org. Festival : du 12 au 22 mai.

Politis : L’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) présente au Festival de Cannes une programmation, et non une sélection. Pourquoi cette nuance dans l’appellation ?

Mariana Otero : Les directeurs de festival élaborent une sélection pour faire valoir leur choix. Ils mettent en valeur leur sélection en allant chercher des films, en particulier inédits. L’Acid ne suit pas du tout cette démarche-là. Nos critères de choix ne sont pas les mêmes. Nous établissons une programmation pour aider des films à être mieux vus ensuite. À nos projections de Cannes, il y a plus de 250 exploitants, qui viennent parce qu’ils sont intéressés a priori par ces films et qu’ils sont susceptibles de les programmer au moment de leur sortie. C’est une sorte de grand prévisionnement, qui est très précieux, parce que, en dehors de Cannes, les exploitants sont souvent très occupés et n’ont généralement pas le temps de voir nos films. En outre, la majorité des films choisis n’ont pas, au départ, de distributeurs. Le passage à l’Acid à Cannes leur permet d’en trouver. Et, désormais, l’Acid étant de plus en plus reconnue, des distributeurs se manifestent avant même Cannes. Cela aide les films.

Votre dernier film, Entre nos mains , qui était présent avec l’Acid à Cannes l’an dernier, y a été particulièrement bien reçu…

Oui. Les exploitants ont été très nombreux à le voir. D’autant qu’il a été également programmé lors des deux journées Afcae (Association française des cinémas d’art et essai) qui précèdent le festival et présentent certains films, toutes sélections confondues, devant 600 exploitants ! Jusque-là, l’Afcae ne prenait pas les films de l’Acid ; Entre nos mains a été le premier.

Quand l’accueil n’est pas favorable pour un film, regrettez-vous de l’avoir programmé ?

Non, parce que cela nous inciterait à chercher l’« efficacité » dans le choix des films. Donc cela formaterait nos choix. Et puis les projections sont suivies de débats, pendant lesquels nous pouvons tenter d’éclairer leur réception. Enfin, pour certains films, une programmation à l’Acid est la seule chance de pouvoir être vus. Donc, non, jamais de regrets.

Un seul des films Acid à Cannes l’an dernier, Donoma , de Djinn Carrénard, n’est toujours pas sorti en salle. Pourquoi ?

Pour qu’un film puisse bénéficier d’une sortie commerciale, il lui faut l’agrément du CNC. Pour l’obtenir, il faut pouvoir justifier d’avoir payé les comédiens, les techniciens, etc. Or, le film ayant été entièrement autoproduit, il n’y a pas de fiches de paie. Et si Donoma a été ­autoproduit, c’est parce qu’il n’y avait pas de producteur pour le prendre en charge. Sa programmation à l’Acid a mis en évidence ce problème dans le système de production actuelle.

Quelle est la revendication principale portée par l’Acid ?

Nous voulons que les salles art et essai qui programment les films les plus audacieux soient aidées de façon plus significative que celles qui passent des films art et essai plus calibrés. 70 % des films sont labellisés art et essai, ce qui ne veut plus dire grand-chose. Ce système d’aide aux salles est insuffisant, il ne répond plus au problème : comment résister à un marché qui écrase de plus en plus les films économiquement les plus fragiles. C’est pourquoi nous avons proposé un dispositif qui s’appelle « le coefficient industriel ». L’idée est de ne pas discuter de l’esthétique – qui nierait le fait que les films de Woody Allen, classés art et essai, sont de l’art ? –, mais d’utiliser des critères plus objectifs : les films à moins de 40 copies et au budget marketing en dessous d’un certain seuil compteraient trois fois plus que les films du même type que ceux de Woody Allen. Parce que l’exploitant qui programme les Woody Allen bénéficie de toute la promotion faite par TF 1, Carla Bruni, etc. Alors qu’avec les films plus fragiles économiquement, ce travail repose beaucoup sur l’exploitant. Mais le CNC ne veut pas retenir cette proposition. Pourtant, ce serait une excellente manière de rééquilibrer la pression du marché, qui va s’accroître avec le numérique. Ce serait aussi, par une incitation positive, une manière de réduire le nombre des copies.

Quels sont, justement, les problèmes posés par l’arrivée du numérique ?

Le prix d’une copie numérique étant sensiblement inférieur à celui d’une copie 35 mm, les distributeurs réalisent des économies de diffusion grâce au passage au numérique. Il a donc été décidé d’affecter ces économies, en tout ou partie, au financement des équipements numériques des salles, qui sont très chers – 80 000 euros minimum –, à travers un système de contributions (ou VPF pour virtual print fees , « frais de copies virtuelles »). Nous avons proposé, avec d’autres associations professionnelles, que l’on crée un fonds de mutualisation. Mais l’Afcae, la principale association des exploitants art et essai, a refusé cette proposition. Ce qui a été mis en place est un système très compliqué.

Chaque exploitant doit se mettre en accord avec un tiers opérateur – comme Ymagis, qui est un organisme bancaire, et c’est la première fois que les banques entrent ainsi directement dans la distribution des films – qui aide à assurer le prêt nécessaire pour l’équipement des salles et assure la gestion des contributions numériques en faisant payer les distributeurs chaque fois qu’une copie numérique est projetée dans l’une d’elles. Le tiers opérateur va bien sûr prendre sa commission au passage. C’est donc un nouveau maillon qui s’ajoute entre le distributeur et l’exploitant, et de l’argent qui ne profitera pas aux films. En outre, les VPF ne seront
payées que pour les sorties nationales et pendant les trois premières semaines. Y compris pour un documentaire qui ne sera programmé que deux ou trois fois dans une semaine. Ce qui, en l’occurrence, reviendra très cher.

Bref, c’est une usine à gaz qui aura des effets pervers. Personne, aujourd’hui, ne parvient à en mesurer toutes les conséquences. Mais nous sommes persuadés que cela va aggraver l’occupation inégalitaire des écrans, avec quelques films qui trusteront encore davantage les salles. Et cela risque aussi d’avoir pour effet d’accélérer toujours plus la rotation des films. Avec la Société des réalisateurs de films et d’autres organisations, nous avons décidé de mettre en place un comité de vigilance pour examiner les effets pervers de ce système. Un tel comité a été créé au CNC, composé de distributeurs et d’exploitants, mais les réalisateurs en ont été exclus. Ce système des contributions numériques, qui a été pensé pour les grosses machines, va bouleverser beaucoup de choses. Des mesures de régulation seront sans aucun doute nécessaires. C’est la prochaine grande bataille à venir.

Culture
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