Les terroristes intellectuels
dans l’hebdo N° 1152 Acheter ce numéro
«Le terrorisme intellectuel empêche la majorité de nos compatriotes de défendre les idées dans lesquelles ils croient » (discours de Nice, le 21 avril 2009, sur la lutte contre l’insécurité). Figure honnie du sarkozysme, l’intellectuel est accusé tantôt d’être le véhicule d’une « pensée unique » pleine de « bons sentiments » , tantôt d’être une « force du conservatisme et de l’immobilisme » . Bref, passablement poussiéreux ! Génial condensé de ces lieux communs, le discours sur la recherche de juin 2009, dont on rit encore (jaune) dans les universités françaises. Nicolas Sarkozy y sermonne son auditoire sur les « résultats médiocres » de la recherche hexagonale. « Je ne veux pas être désagréable , s’énerve-t-il, mais à budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50 % en moins qu’un chercheur britannique… Évidemment… si on veut pas voir ça… Je vous remercie d’être venus… [Ici], il y a de la lumière, c’est chauffé… On peut faire, écrire… […]. Certes, nos meilleurs chercheurs obtiennent des récompenses prestigieuses […]. Mais ces points forts ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? […] Franchement, la recherche, sans évaluation, ça pose un problème. […] Non, mais c’est un système assez génial d’ailleurs ! Celui qui agit est en même temps celui qui s’évalue… [Silence.] Qui peut penser que c’est raisonnable ? »
C’est que l’intellectuel est un caillou dans la chaussure à talonnette sarkozyste. L’écrivain (souvenons-nous de la polémique autour du prix Goncourt de Marie NDiaye, rappelée à l’ordre pour avoir osé critiquer la France de Sarkozy), le journaliste (rabaissé au rang de « questionneur ») ou le chercheur d’université (surtout en sciences humaines) a en effet la mauvaise habitude d’interroger les fausses évidences sarzkozystes : la culture du chiffre, les clichés qui généralisent, la fascination pour l’argent, l’idée que le privé vaut mieux que le public… Pour faire bonne mesure, le chef de l’État s’entoure donc d’intellos pas contrariants comme Éric Zemmour, Yann Moix ou Denis Tillinac. Et s’applique à opposer les élites aux milieux populaires, auxquels lui-même fait mine de s’identifier : « Je ne suis pas un théoricien, je ne suis pas un idéologue, je ne suis pas un intellectuel » , affirmera-t-il en 2007 au JT de TF 1. Victime expiatoire de cette rhétorique populiste, cette pauvre Princesse de Clèves. Il faut être « un sadique ou un imbécile » pour avoir mis au programme des concours de la Fonction publique un tel ouvrage ! Il est vrai, l’héroïne de Madame de Lafayette, symbole de patience, de fidélité dans un monde d’apparences courtisanes, n’est pas tout à fait à l’image de notre Président.