Souffrance au travail : briser le tabou
Les syndicats continuent d’alerter sur les cas de souffrance extrême au travail et pointent le modèle de management. Dans les usines Renault, ouvriers et cadres, appuyés par des chercheurs, tentent de trouver une parade au mal-être. La crise sert à tester jusqu’où l’on peut aller dans la flexibilité, accuse l’ergonome François Daniellou.
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Pour une majorité des salariés, le travail occupe le tiers de la journée. Pourtant, on en parle si peu ! On s’inquiète du chômage, des conditions d’accès à l’emploi ou du niveau des salaires, mais ce n’est pas le travail. On s’interroge sur le stress, la souffrance, les « burn-out » ou de tragiques suicides. Si c’en est la conséquence, ce n’est pas le travail. On compare la compétitivité des salariés, on rogne sur les coûts, on se gargarise du « cash flow » dégagé pour les financiers. Si cela induit des effets sur la manière de travailler, cela ne reflète toujours pas le travail. Enfoui sous les courbes de croissance et les baromètres « qualité » du capitalisme financier, le travail est individualisé, chronométré, chiffré, « benchmarké », « power pointé ». Il est évalué en permanence, mais tout est fait pour ne pas parler de la manière de bien – ou mieux – travailler. Même l’intérêt, forcé, des entreprises pour la prévention du stress évite le sujet : on instaure un numéro vert ici, une cellule d’écoute là, on forme les managers à détecter des « collaborateurs » fragiles, on fait appel à un psychologue ou à un professeur de yoga.
Mais rouvrir des espaces pour que les salariés s’expriment, ensemble, sur leur travail et son organisation, pour en éviter les aberrations, pas question. Car reparler du travail et de ses contraintes, de la manière d’assurer au mieux la production, de satisfaire un client, de soigner un patient, c’est redonner du pouvoir aux salariés. Et en prendre aux gestionnaires. C’est réintroduire de la démocratie là où elle en avait été bannie par les injonctions, les objectifs imposés ou la surveillance des salariés. C’est rouvrir la porte à des actions collectives pour changer sa vie au travail, et peut-être sa vie tout court. Des syndicalistes à Renault, à France Télécom ou ailleurs, appuyés par des chercheurs, l’ont bien compris. Leur travail de fourmi dans les ateliers ou les « open spaces » préfigure le renouveau d’une action syndicale redevenue émancipatrice.
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