Transport nucléaire par le rail : un scandale d’opacité pour la sécurité nucléaire
Ces trois derniers jours, un train de déchets hautement radioactifs en provenance d’Italie a de nouveau traversé la France. Un convoi à risques qui met en évidence l’opacité liée au transport ferroviaire de matières nucléaires dans l’Hexagone.
Si la France bloque les trains bondés d’immigrés tunisiens et de manifestants en provenance d’Italie, elle autorise en revanche ceux qui transportent des déchets nucléaires hautement radioactifs. Du Piémont italien jusqu’au terminal de Valognes (Manche), ce sont douze départements français qui ont été traversés par un nouveau convoi de ce type, entre le 8 et le 10 mai dernier. Les militants des réseaux anti-nucléaire étaient en alerte pour surveiller son passage. Car, « pour des raisons de sécurité » , Areva avait évidemment caché son itinéraire, ses horaires de passage et sa contenance.
Depuis 2007, Areva s’est engagée à traiter 235 tonnes de combustible usé dans son usine de La Hague (Manche), dans le cadre d’un contrat passé avec la société italienne Sogin. En vertu d’un décret signé par Jean-Louis Borloo la même année, des convois de matières radioactives sont donc habilités à circuler entre la France et l’Italie, tous les trois mois en moyenne selon le Réseau Sortir du Nucléaire. Sans compter les transports internes à la France, à savoir deux convois radioactifs minimum par jour, toujours selon Sortir du nucléaire (voir cartes interactives).
Or, les combustibles irradiés émettent des rayonnements, qui ne sont que partiellement « arrêtés » par les blindages des containers. La réglementation sur le transport des matières radioactives autorise ainsi des débits de doses pouvant aller jusqu’à deux milliSievert par heure au contact du wagon, soit un niveau de radiation environ 20 000 fois supérieur à la radioactivité naturelle. Mais, selon les mesures de la Criirad, ces radiations se propagent à plusieurs dizaines de mètres du wagon, exposant les personnes situées à proximité.
Malgré ces risques, les autorités fournissent très peu d’informations sur ce type de transports, et taisent leur dangerosité pour les populations riveraines et les usagers des gares. «Nous n’avons aucune information concernant les transports de matières dangereuses, radioactives ou autres, sur le rail comme sur la route. J’ose espérer que les autorités de la protection civile diffusent ce type d’information aux différents services» , indique Jean Claude Raffin, maire de Modane (Savoie) « Les élus ne sont pas tenus au courant du passage de ces convois , confirme Laura Hameaux, du Réseau Sortir du Nucléaire. Un maire ne dispose donc pas des moyens appropriés pour mettre en place un plan d’urgence dans sa commune en cas d’accident ! » Facteur aggravant : ces trains circulent et s’arrêtent dans les gares aux heures de pointe.
Les premiers concernés sont les cheminots. N’étant pas considérés comme des travailleurs du nucléaire, ils ne sont pas encadrés par les mêmes normes de sécurité. Un individu en contact direct avec un convoi hautement radioactif peut pourtant recevoir en 30 minutes la dose maximale de radiations ionisantes admissible pour le public chaque année ! « Mis à part ceux qui interviennent tous les jours sur les centrales, les conducteurs et les cheminots chargés d’accrocher des wagons ou d’intervenir sur le système de freins n’ont pas de protection individuelle, ni de suivi médical particulier » , s’indigne Philippe Guiter, représentant du syndicat Sud-Rail au Comité national d’hygiène et de sécurité de la SNCF. A défaut de portiques et de dosimètres, ils ne connaissent pas non plus le degré de radioactivité des trains sur lesquels ils sont susceptibles d’intervenir.
Et lorsqu’ils réclament plus de transparence sur cette question, « c’est la guerre des tranchées ! » , poursuit Philippe Guiter. « Il y a une omerta complète de la SNCF sur le sujet du nucléaire ! On n’a pas d’informations, ils ne veulent pas nous en donner, ils ne veulent pas répondre aux questions, la direction refuse nos demandes de groupes de travail. » . Au sein du personnel, une prise de conscience s’est opérée il y a six mois. Au passage du dernier train en provenance d’Italie en février dernier, des droits d’alerte ont été déposés. L’inspection générale du travail s’est alors saisie du dossier et a déposé une mise en demeure, réclamant un dispositif de prévention et de formation adaptées pour les agents de la SNCF, une meilleure évaluation des risques et la réalisation de nouvelles mesures de radioactivité par un laboratoire indépendant. Et ce, concernant tous les types de convois radioactifs. « On attend toujours les suites… »
La SNCF se conformera-t-elle à ces recommandations ? « Il y a de gros enjeux financiers derrière, rappelle Laura Hameaux. Areva achète à la SNCF l’utilisation des wagons, un passage et des horaires » . Or, « Areva ne souhaite pas montrer la quantité incommensurable de déchets nucléaires que la France produit chaque année et dont elle ne sait que faire » . En vertu de la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire de 2006, citoyens et associations ont pourtant le droit d’être informés de l’inventaire radioactif de ces convois.
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