Veolia fait payer le handicap

À Toulouse, un collectif dénonce la dégradation du service dédié aux personnes handicapées. Depuis le passage de la gestion à Veolia, la rentabilité a pris le pas sur la qualité de ce service public essentiel.

Nicolas Séné  • 26 mai 2011 abonné·es
Veolia fait payer le handicap
© CIAH 31 : 05 61 44 88 33, [http://v2.handi-social.fr/ciah31.html](http://v2.handi-social.fr/ciah31.html), ciah31@handi-social.fr Photo : Guez / AFP

Le lundi 18 avril, le parvis du service de transports en commun de l’agglomération toulousaine, Tisséo, s’est retrouvé occupé par des personnes en fauteuil roulant. Une vingtaine de membres du collectif interassociatif Handicaps 31 arboraient des pancartes jaunes où l’on pouvait lire : « Tous égaux ? Pas chez Tisséo » ou « Liberté, égalité dans les transports spécialisés ». Après avoir pointé du doigt les normes d’accessibilité du tramway, ces citoyens ont refait parler d’eux dans l’affaire Mobibus, du nom du service de transport à la demande adapté aux personnes à mobilité réduite. « Depuis qu’il est en délégation de service public à TPMR, une filiale de Veolia, le service s’est dégradé » , résume Odile Maurin, l’énergique représentante d’Handi-Social, une des 24 associations du collectif.

La liste des griefs est longue : non-respect des horaires, variation de la tarification, plate-forme logistique déficiente, groupage des usagers, sécurité, etc. Alors que les autres modes de transport (métro, bus, tram) sont passés sous le mode de la régie, gérée par la collectivité, Mobibus est resté dans l’escarcelle de la délégation de service public. « C’est un service spécifique qui n’est pas le cœur de métier des transports en commun » , tente de se défendre Gérard André, le président du comité de pilotage de Mobibus. « Nous sommes bien conscients que Veolia n’est pas là pour notre bien-être mais pour la rentabilité » , lui répond Odile, qui souhaite « un vrai service public avec le respect de l’usager et la qualité de service attendue » .

Car Mobibus est plus que du transport collectif. Il assure un service de porte-à-porte, ce qui implique que les chauffeurs viennent chercher les usagers à leur porte. « Ce ne sont pas de simples chauffeurs, ce sont des accompagnateurs car ils nous aident à mettre nos manteaux et à fermer nos portes à clé » , explique Odile. Un temps de prise en charge que la filiale de Veolia semble avoir comprimé au maximum : « Ils ne comptent même pas cinq minutes de prise en charge de la personne » , déplore Odile. Entre la porte, l’éventuel ascenseur et le chargement, les cinq minutes sont vite dépassées. Certains usagers ne savent même pas qu’ils ont droit à ce service et attendent sur le trottoir, parfois dans le froid ou sous la pluie. « Comme ils serrent les horaires, on a l’impression d’être là pour que nos besoins collent à leur planning et non l’inverse » , se plaint Odile, affligée de voir que la pression exercée sur les chauffeurs se répercute irrémédiablement sur les usagers.

Alors que Mobibus promet une prise en charge pour un trajet le jour même si la réservation se fait la veille avant 19 heures, la réalité est tout autre. « La réservation en ligne ne marche jamais dans ce cas-là, il faut au minimum réserver une semaine à l’avance » , constate Odile. Et annuler au dernier moment revient plus cher que d’utiliser le service. « Nous n’avons pas le sentiment que nous sommes des personnes qui ont des difficultés physiques » , souffle-t-elle. Il existe aussi la réservation par téléphone. Mais certains ne peuvent pas y accéder car leur handicap altère leur élocution. Pour les autres, ce n’est pas gagné pour autant. « Ils ont délocalisé la plate-forme téléphonique à Bordeaux , s’indigne Odile. On a donc affaire à des agents qui ne connaissent pas – ou connaissent mal – les rues de Toulouse, et, en plus, leur logiciel n’a pas toutes les rues ! » Veolia dit avoir conscience du problème mais ne sait pas quand il sera réglé.

Un autre point d’achoppement concerne l’expérimentation sur les tarifs mis en place au 1er mars 2011. Avant, le trajet coûtait de 2,70 à 3 euros selon qu’il était effectué en heure pleine ou creuse. Dorénavant, trois tarifs sont proposés : le plein tarif en porte-à-porte, un demi-tarif de trottoir à trottoir et la gratuité d’un trottoir à un arrêt de bus ou de métro. Pour Odile, la logique est claire : « On paie en fonction du niveau de dépendance et donc en fonction de notre handicap. » Sur le sujet, Odile Maurin a personnellement saisi l’antenne locale de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).

Catherine Cousergue utilise le service depuis 1988 et a remarqué que « depuis que c’est Veolia, ça a empiré » . Elle est administratrice du Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques (GIHP), une association membre du collectif Handicaps 31 et partie prenante du conseil de pilotage de Mobibus. « J’utilise le service tous les jours pour mes activités professionnelles de médecin. Je participe à des séminaires, à des réunions et je suis lésée car j’arrive régulièrement en retard » , explique-t-elle. D’autre part, les véhicules ne sont pas aménagés pour fixer correctement les fauteuils électriques : « Tout n’est pas mis en œuvre pour la sécurité des passagers alors qu’ils sont vulnérables » , insiste Catherine.

Si Gérard André l’admet, il dit ne pas trouver de prestataires proposant des véhicules correspondants. « Pourquoi en trouve-t-on dans d’autres villes ? » , se demande la responsable associative avant de constater : « À Toulouse, ils ont fait le choix de gros véhicules pour grouper plusieurs personnes. Des petits véhicules seraient pourtant plus adaptés à la ville. » Des petits véhicules qui seraient certainement moins rentables… Car Mobibus est aussi une histoire d’argent. Selon le rapport annuel 2009 de la structure, Tisséo a versé plus de deux millions d’euros aux prestataires, dont la moitié à Veolia, qui a hérité du contrat à l’été 2009 et réalise sa marge sur cette somme « brute ». Depuis, « la fréquentation a augmenté de 20 % » , s’enthousiasme le représentant de Mobibus…

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