À contre-courant / Toujours plus de CO2
dans l’hebdo N° 1156 Acheter ce numéro
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de publier un rapport largement médiatisé : 1,6 gigatonne supplémentaire (Gt) de CO2 a été rejetée dans l’atmosphère en 2010, l’essentiel venant de l’utilisation des énergies fossiles. Le total mondial d’émissions atteint 30,6 Gt alors que le scénario retenu pour limiter le réchauffement à 2 °C maximum en 2050 n’autorise que 32 Gt en 2020. À ce rythme, selon l’agence, nous nous acheminons vers un réchauffement global moyen de plus 4 °C. La reprise de l’activité mondiale en 2010 a dopé les émissions : nous sommes loin du découplage annoncé entre croissance et émissions, malgré une amélioration de l’efficacité carbone.
Ces chiffres font grand bruit. Ils ne font pourtant que rappeler les calculs de l’ONU : si l’on considère le résultat du sommet de la convention climat à Copenhague, entériné à Cancún, les déclarations d’intention des différents États pour la réduction des émissions conduiraient à une augmentation moyenne de la température terrestre comprise entre 4 °C et 6 °C. Le désarroi est certes grand mais il emprunte les voies d’un catastrophisme obscur à la mesure des contradictions de l’AIE. Au point que, même après Fukushima, l’économiste en chef de l’institution, Fatih Birol, voit dans ces résultats un encouragement à développer le nucléaire. Inquiet face à la décision allemande d’en sortir et à l’augmentation forte du prix de l’électricité qui, selon lui, devrait en découler, pas un mot n’est accordé à la réévaluation nécessaire du coût de l’énergie nucléaire. Pourtant, et selon une étude récente du Wuppertal Institut en Allemagne, la sortie du nucléaire se soldera par une augmentation de 25 euros par an pour une consommation moyenne de 3 500 Kwh. C’est très inférieur aux augmentations prévues en France pour 2015, liées à la libéralisation du marché et surtout au maintien du nucléaire, du fait des investissements prévus par EDF pour prolonger la durée de vie des centrales et les mettre aux normes de sécurité après l’accident de Fukushima.
Pas un mot non plus de l’urgence à freiner et à réduire l’extraction des énergies fossiles qui s’effectue à un rythme fou. On assiste pourtant à une course à l’extraction du pétrole sous l’Arctique ainsi qu’à celle des huiles et gaz non conventionnels, fortement émettrice de CO2. L’extraction des gaz de schistes libère de surcroît du méthane dans l’atmosphère, gaz vingt-cinq fois plus nocif à court terme que le CO2 en termes d’effet de serre. Quant à l’extension du nucléaire, qui ne représente guère plus de 2 % de l’énergie finale consommée dans le monde, le chemin serait long et explosif pour en faire une alternative à l’énergie fossile, y compris en la mixant aux renouvelables ! Or, des négociations climatiques se poursuivent, ce début juin à Bonn, en vue du sommet de la convention climat de l’ONU, à Durban fin 2011. C’est l’occasion de rappeler que les émissions des pays industriels devraient diminuer d’au moins 40 % entre 1990 et 2020 pour atteindre les objectifs fixés pour 2050.
À ce propos, l’AIE souligne que les trois quarts du supplément d’émissions en 2010 viennent des pays émergents ou en développement. Changeons de focus : un quart de la croissance vient des pays industriels, eux qui s’étaient engagés à Kyoto à diminuer leurs émissions d’un petit 5,2 % entre 1990 et 2012, et qui importent massivement des marchandises dont la production a libéré en Chine ou ailleurs les gaz à effet de serre. Dire ceci n’exonère en rien la responsabilité des États émergents engagés dans l’extension du système productiviste. Cela souligne simplement la différenciation des responsabilités en matière climatique, que les États du Sud n’arrivent plus à faire respecter dans les négociations, quand ils n’ont pas abandonné le combat à force de pressions, d’illusions financières, de fraudes [^2] et d’oubli de leurs peuples.
Tant qu’une véritable transition énergétique, fondée sur la sobriété et la justice, éclairée par les connaissances disponibles, ne sera pas mise en œuvre, ces alertes cultiveront le fatalisme et la soumission résignée aux intérêts économiques et financiers.
[^2]: Voir le résumé du rapport de Transparency International (www.transparence-france.org/eupload/pdf/gcrclimatechangeexecsumfr.pdf )