AFP : le statut se lézarde
À onze mois de la présidentielle, sous le coup d’un projet de loi, l’Agence France-Presse craint pour son indépendance à l’égard de l’État.
dans l’hebdo N° 1156 Acheter ce numéro
Ce n’est pas nouveau. Déjà, en 2008, Pierre Louette, PDG de l’Agence France-Presse, avançait l’idée de revenir sur le statut d’indépendance de l’agence, protégée par une loi adoptée en 1957 et faisant d’elle un organisme autonome, sans actionnaires, disposant de fonds propres, dont « l’activité, dans son ensemble, est une mission d’intérêt général » . En soi, un statut sanctuarisé, avec un principe fondamental, défini dans l’article 2 de son statut : « L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’exactitude ou l’objectivité de l’information ; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique. » Poussé par l’Élysée, Louette visait la création d’une société par actions. Devant la levée des syndicats, l’idée est restée à l’état d’idée.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une idée mais d’un texte. Le sénateur UMP Jacques Legendre a, en effet, déposé le 17 mai un projet de loi tendant à réformer la gouvernance de l’AFP, laquelle, juge-t-il, est « obsolète et inadaptée aux nouvelles réalités commerciales » . Cette gouvernance serait ainsi modifiée, avec trois patrons de presse (au lieu de huit actuellement) siégeant au conseil d’administration, celui-ci passant de trois représentants « des services publics usagers de l’agence » à trois « représentants de l’État » et un représentant de l’audiovisuel (public ou privé), maintenant deux représentants du personnel, auxquels s’ajouteraient six personnalités indépendantes désignées par un collège. On peut s’interroger sur la garantie de l’indépendance de ces personnalités, et « craindre que ce ne soit un peu trop monocolore » , observe Thierry Masure (CGT). Le calcul est assez simple pour y voir un poids plus pressant de l’État, sinon une mainmise.
Le projet de loi entend également encadrer le financement de l’AFP, sous prétexte de répondre aux directives de Bruxelles. L’agence, dont les abonnements facturés aux services publics de l’État représentent 40 % du chiffre d’affaires, selon une convention entre elle et l’État, entre fournisseur et client (contre 60 % provenant de clients privés), serait contrainte à un « contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel » avec l’État, qui préciserait lui-même ses « missions d’intérêt général » tout en plafonnant son financement. N’ayant plus de gestion propre à elle, voilà l’AFP soumise au bon vouloir de l’État, réduite à être un simple prestataire de quelques « missions », avec un certain flou autour de la nature de celles-ci. Et, toujours selon cette proposition de loi, le PDG de l’AFP devrait répondre de ses activités devant le Parlement et les ministres intéressés. Enfin, contrôlée par une commission financière, l’agence serait soumise aux contrôles de la Cour des comptes. « Il s’agit d’une mise sous tutelle financière et gestionnaire plus forte que jamais » , dénonce Thierry Masure.
Détail d’importance, tout de même, dans cette proposition de loi : l’AFP ne pourrait pas commercialiser ses services sur Internet ni diffuser ses informations au grand public. L’idée avait plus qu’effleuré l’actuel PDG de l’AFP, Emmanuel Hoog, et suscité la colère des journaux. C’est le seul aspect raisonné et raisonnable de ce projet, qui maintiendrait l’agence en tant qu’agence au lieu de la transformer en un fournisseur direct au public, qui concurrencerait ses propres clients.
Pierre Legendre entend mener l’examen de ce projet de loi, soutenu par Emmanuel Hoog, le plus rapidement possible, avant la clôture de la session parlementaire fin juin. « Si la rédaction n’est pas contre une réflexion sur les statuts de l’AFP , poursuit Thierry Masure, elle est aujourd’hui au pied du mur, avec un calendrier très court puisque le Sénat veut voter ce projet avant l’été, en catimini. » Au plus tard, il reviendrait au Sénat à la rentrée, « juste avant que la gauche ne soit susceptible d’en prendre les commandes. Étonnante précipitation. En tout cas, les méthodes employées n’augurent rien de bon » , conclut Thierry Masure. Dans cette offensive de l’UMP à vouloir mettre à sa botte l’agence française, à onze mois de la présidentielle, il n’y a évidemment rien d’innocent.
En attendant, à l’issue d’une assemblée générale, les personnels de l’AFP ont mené une journée de grève jeudi 26 mai, et voté une motion de défiance à l’encontre de la direction, exigeant que « tout nouveau statut soit soumis à un référendum interne du personnel » .