Bac pro, vraie filière ou zone de triage ?
Championne de la dérégulation, la filière professionnelle compte chaque année plus d’élèves.
Mais, passée de quatre à trois ans, elle sacrifie l’enseignement général, indispensable pour étudier à l’université.
dans l’hebdo N° 1158 Acheter ce numéro
En ce mois de juin, 654 000 lycéens viennent de passer le bac, dont 170 000 en filière professionnelle, soit 36 % de plus que l’année dernière. Cette augmentation ne doit rien au hasard mais à la dévalorisation organisée des « bacs pros ». De plus en plus d’élèves qui peinent à l’école sont orientés vers des filières professionnalisantes avec stages en entreprise, sans garantie d’une formation générale et citoyenne, et sans qu’on leur ait vraiment demandé leur avis.
La tendance s’est accrue depuis les réformes Darcos, qui ont réduit la durée de cet enseignement de quatre à trois ans dès la rentrée 2008, le rendant plus difficile à obtenir pour une partie des lycéens et affaiblissant le contenu des enseignements. Le bac pro est-il un baccalauréat assorti d’une spécialisation et d’un savoir-faire, ou un « sous-bac » ?
La question se pose depuis sa naissance, le bac pro apparaissant comme la filière championne de la dérégulation. Il voit le jour en 1985, à la suite d’une Mission école-entreprise mise en place par le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Jean-Pierre Chevènement, et d’une demande de l’UIMM, le syndicat patronal le plus conservateur. Mauvais présage ? Jean-Pierre Chevènement annonce qu’il veut amener 80 % d’une classe d’âge au bac et entend, pour ce faire, promouvoir l’enseignement technique et professionnel. Il évoque des filières « d’égale dignité », mais la hiérarchie initiale (générale, technologique et professionnelle) demeure inchangée. Les bacs pros font office d’artifice permettant de gonfler le nombre de bacheliers tout en baissant le nombre des chômeurs.
Théoriquement, ces bacheliers sont pourvus du droit de s’inscrire à l’université. Mais, pour que les titulaires d’un bac pro suivent à la fac, il leur faut avoir acquis un niveau bac réel dans certaines matières comme le français, l’histoire-géographie, la connaissance d’une langue… Or, la part de l’enseignement général dans les filières professionnelles n’a cessé de s’atrophier. Illustration du manque de considération dont cette culture générale fait l’objet : les élèves qui manquent ces cours sont rarement sanctionnés.
Jusqu’en 2009, un bac professionnel se préparait en quatre ans, car deux ans s’ajoutaient à un BEP (brevet d’enseignement professionnel) ou à un CAP (certificat d’aptitude professionnelle). Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale, décide de supprimer les deux ans de préparation au BEP pour aligner le bac pro sur les autres bacs. Les lycéens de filières professionnelles perdent ainsi un an de formation. Une opération rendue possible en rognant sur l’enseignement général et parfois aussi sur l’apprentissage professionnel, remplacé par de la formation en alternance. De quoi plomber une filière destinée à des lycéens s’adaptant mal à l’enseignement traditionnel. Un certain nombre de ces « bacheliers pros » découvrent à la fac l’étendue de l’escroquerie dont ils ont été l’objet, face à des professeurs qui réussissent rarement à les sauver d’un naufrage traumatisant.
Le 19 juin 2009, Jean-Pierre Chevènement se félicite du doublement du nombre de lycéens et d’étudiants entre 1985 et 1995, mais regrette « la stagnation du nombre d’élèves parvenant au niveau du bac » depuis 1996. « La solution n’est pas de faciliter l’accès au bac par un rabais d’exigence, ajoute-t-il, mais de revaloriser les filières qui doivent l’être : baccalauréats technologiques et professionnels d’abord, en leur accordant les moyens qu’ils méritent, filière littéraire ensuite, injustement négligée et qui a impérativement besoin d’être renforcée, car elle aussi répond à un besoin social incontestable. » De quelle revalorisation cette filière bénéficie-t-elle aujourd’hui ?