Ça roule pas mal pour le Vélib

Sur les 56  000 bicyclettes en libre-service proposées en France, plus de 23 000 le sont à Paris et dans sa banlieue. L’usage du Vélib augmente régulièrement, tandis que le nombre d’accidents demeure stable. Un progrès pour la vie en ville, mais qui mérite encore pas mal d’ajustements.

Claude-Marie Vadrot  • 30 juin 2011 abonné·es
Ça roule pas mal pour le Vélib
© Photo : Ouzounoff / Photononstop

Observation empirique aux abords de quelques-unes des 1 800 stations Vélib de Paris et de sa proche banlieue : elles constituent un bon plan pour la drague, elles accueillent une (petite) majorité de vélocipédistes de sexe féminin, et ceux ou celles qui poussent les bicyclettes de 22 kilos se répartissent sur toute la pyramide des âges. Dans la catégorie doyens : un ancien cyclard de presse de 77 ans ayant joué autrefois les porteurs d’eau dans le Tour de France et un médecin retraité de 79 ans comptabilisant ses parcours : il jure qu’il a fait 6 500 kilomètres ces trois dernières années !

Les plaintes les plus fréquentes viennent des piétons qui rouspètent contre les pistes cyclables sur les trottoirs, des cyclistes privés de leur élan par des camionnettes de livraison mal garées, et des automobilistes qui tempêtent contre les vélos. Anna, secrétaire de direction dans le VIIe arrondissement, qu’elle rejoint tous les matins depuis le XXe : « Les conducteurs de voiture ne nous aiment guère, on dirait qu’ils se sentent coupables de s’incruster dans leur caisse. Après deux vélos volés, j’ai opté il y a trois ans pour Vélib tous les jours et j’apprécie de ne plus descendre dans le métro ou de ne pas attendre un bus. À 64 ans, je ne vais pas vite mais, même à mon rythme, je ne mets guère plus de vingt minutes pour arriver au bureau. Je redécouvre Paris. J’aime bien les petites conversations échangées avec les autres aux feux rouges. Il y avait la communauté des deux roues à moteur, il y a maintenant celle des cyclistes. Mes enfants se sont moqués de moi mais l’un d’eux m’imite depuis un an. » La biodiversité du peuple Vélib est immense.

Achille quitte tous les matins le XVe pour le XIe et prétend avoir été l’un des premiers à opter pour Vélib : « À 26 ans, ça me fait le plus grand bien. Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas plus nombreux. Je vais déménager prochainement dans un immeuble où on peut garer son biclou, alors je vais acheter un hollandais avec un double plateau, je transpirerai moins. Mais je vais regretter les rencontres dans les stations. Surtout au retour, quand on est moins pressé. Donc, en fait, j’hésite encore ! »

Il y a également ceux qui râlent parce qu’ils ont tourné trop longtemps pour trouver une place libre dans une station et pouvoir « rendre » le Vélib. À Montmartre, en bas de la rue des Martyrs, les cyclistes calent devant la côte et continuent à pied : il y a encombrement des « retours » et pas assez de « départs ». Il y a ceux, donc, qui rêvent d’une bécane à assistance électrique. Ceux qui grognent contre le système Decaux et « ses pubs débiles et laides » , ceux qui voudraient que ce soit gratuit.

Toutefois, la plupart des usagers sont contents, même si aucun n’a oublié le passage à vide de Vélib il y a trois ans, quand le nombre de vélos non réparés ou vandalisés a frôlé un niveau insupportable. C’est d’ailleurs pour ce type de raisons que le réseau complémentaire Plaine Commune, desservant huit localités de Seine-Saint-Denis, s’est interrompu entre l’automne 2010 et avril dernier.

Vélib fêtera le 14 juillet son 4e anniversaire avec 170 000 abonnés longue durée au compteur. Pas trop mal pour une initiative lancée sous les ricanements du lobby des automobilistes. Le réseau complet couvre Paris et trente communes de la proche banlieue. Les 1 800 stations se répartissent 23 600 vélos dont au moins 3 000 hors de Paris. Ce parc engendre entre 80 000 et 100 000 utilisations par jour. Preuve de l’existence de véritables mordus du Vélib, il y avait encore 30 000 utilisateurs quotidiens pendant les épisodes ­neigeux de l’hiver dernier.

Depuis 2007, on déplore six accidents mortels. Les chiffres donnent donc tort à ceux qui annonçaient une hécatombe. Selon l’Observatoire des déplacements, le nombre ­d’accidents intra-muros est passé de 221 à 197 entre 2008 et 2010, alors que le nombre de cyclistes, Vélib ou non, augmentait régulièrement. Au cours des dix dernières années, les déplacements à vélo ont plus que doublé tandis que le nombre d’accidentés demeurait stable. Les experts de la circulation estiment que plus il y a de cyclistes, plus ils sont visibles, et plus le risque d’accidents diminue : voitures et camions s’habituent à faire plus attention. Comme pour les deux-roues motorisés, dont le nombre d’accidents, hors périphérique, était quasiment le même en 2010 qu’en 2008. Le nombre de ­piétons et d’automobilistes accidentés a augmenté légèrement toutefois au cours de cette période.

« Il faut bien avouer , disent Jean-Philippe, cadre dans une banque, et Gérard, technicien à France Télécom, qui se rencontrent dans leur station de la rue d’Avron, que les cyclistes ne sont pas des anges et qu’ils sont nombreux à passer au rouge et à sauter sur les trottoirs en cas d’embouteillage. Boulevard Magenta, par exemple, ce sont les piétons qui marchent sur nos pistes et qui nous engueulent. La proportion de voitures et de scooters qui ne respectent ni les feux ni les trottoirs est à peu près la même. Ces comportements disparaîtront quand Paris sera vraiment équipé de couloirs cyclables en site propre et non de pistes virtuelles tracées sur la chaussée par des urbanistes jamais descendus de leur bagnole. »

Il existe 400 kilomètres de pistes cyclables dans Paris et un quasi-doublement a été annoncé pour 2013. Mais la guerre larvée entre la Mairie de Paris et la préfecture de police, pour qui la chaussée est destinée prioritairement aux voitures, ainsi que les manœuvres de retardement des arrondissements gérés par la droite, freinent la mise en place de couloirs sécurisés.

Quelles que soient ses imperfections, la location subventionnée à Lyon, Toulouse, Bordeaux, Montpellier, Nice… a contribué à faire du vélo un moyen de transport plus naturel. De nombreux citadins ont acheté des bicyclettes, comme le confirment les boutiques spécialisées, dont les ventes ont grimpé. Dans nombre de locaux à poubelles où vivotait un vélo solitaire, ils sont maintenant toute une bande.

Publié dans le dossier
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