De très bonne humeur
dans l’hebdo N° 1158 Acheter ce numéro
Je me suis dit, mon gars, maintenant, faut que t’arrêtes pour de bon.
De fumer.
La dernière fois, j’ai tenu huit mois, et j’ai pris que cinquante-neuf kilos. Au soixantième, forcément, j’ai arrêté d’arrêter, en me disant que j’aurais dû mieux préparer le truc — et ne pas remplacer chaque cigarette par un litre et demi d’un réputé soda yankee, par exemple. Cette fois-ci, j’ai commencé par m’acheter ce qui m’était partout présenté comme la bible des gens qui veulent arrêter de fumer sans tripler de volume : La méthode qui rate jamais pour s’arrêter de fumer les doigts dans le nez, ça s’appelle. (Ou pas loin.) Ça fait deux cents pages, et ça dit comme ça, une fois résumé, que le mieux, pour ne plus fumer, c’est encore de ne plus fumer : j’ai carrément pas regretté mon achat.
Et donc, y a deux jours, j’organise une petite cérémonie pour les obsèques de mon dernier paquet de cigarettes — un truc tout simple, sans fleurs ni couronnes –, puis je me colle sur le bras un patch de vingt mètres carrés, et en avant la musique.
Et déjà : ma vie a changé. (C’est à peine croyable, quand t’y penses, comme ces choses-là vont vite.)
D’une : c’est plus un nez que j’ai, c’est une fontaine. Tu me reconnaîtras de loin, dans la foule estivale : je suis le gars qui traîne derrière lui un semi-remorque rempli de mouchoirs en papier, en psalmodiant que c’est vraiment cool, putain, d’arrêter de fumer, tas de connards. De deux, quand je tousse, ça fait pas le même bruit qu’avant, quand je chopais de bêtes grippes espagnoles : là, maintenant, on sent que c’est du sérieux. (Fort heureusement : je ne tousse que quand je respire.)
De trois : j’ai mal partout, un peu (beaucoup) comme si je venais de courir un marathon salement dénivelé avec un sac à dos rempli d’haltères — sauf que, bien sûr, je n’ai rien fait de tel : mon dernier effort soutenu a consisté à parcourir quelques mètres entre mon lit et le canapé, et j’ai mis trois plombes à m’en remettre.
La vraie bonne nouvelle, cependant , c’est que ça ne me pose aucun problème d’écrire sans fumer : il suffit que je m’y prenne un peu à l’avance — et ça tombe assez bien, vu que, depuis deux jours, je n’arrive plus du tout à dormir. Là, par exemple, ça fait à peine dix heures que j’essaie de terminer (ce putain de billet de merde, aaaaah, bordel, je hais la Terre entière) ces deux feuillets que tu lis en fumant d’énormes clopes et en te foutant de ma gueule — alors si tu veux bien, je vais les écourter un peu, parce que là franchement tu commences à m’énerver, à me répéter que tu me trouves un peu irritable, depuis deux jours.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.