Deux candidats pour deux options
Le choix de Jean-Luc Mélenchon pour porter les couleurs du Front de gauche à l’élection présidentielle doit encore être confirmé. Les « orthodoxes » misent désormais sur André Chassaigne.
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Il est 13 heures dimanche quand Pierre Laurent commence son discours. La conférence nationale a pris du retard. Les débats ont été animés. Le « geste fort », que la direction du PCF entend faire à l’occasion de l’élection présidentielle, rencontre des résistances. Les réticences à la désignation de Jean-Luc Mélenchon comme candidat du Front de gauche se sont exprimées tout au long du week-end. La résolution qui acte ce soutien a certes été approuvée par 63,61 % des 672 délégués. Mais ces derniers ont laissé aux militants communistes qui s’exprimeront les 16, 17 et 18 juin la possibilité de choisir un candidat issu du PCF. Au risque de faire éclater le Front de gauche.
En clôture de ce mini congrès, le numéro un communiste, qui souhaitait un engagement plus net pour une entrée en campagne rapide, appelle donc sa base « à se rassembler autour [du] choix audacieux [et] courageux » de la conférence nationale. Il rappelle que les communistes travaillent avec Jean-Luc Mélenchon « depuis 2005 et qu’il fut à [leurs] côtés un de ceux qui ont rendu possible la naissance et l’essor du Front de gauche ». Il insiste sur l’importance de l’ « accord global » passé avec le Parti de gauche (PG) et la Gauche unitaire (GU) qui, en liant présidentielle et législatives, garantit une « campagne collective » avec une représentation éminente des communistes dans ce second scrutin, le plus important à ses yeux puisque, « on oublie trop souvent, […] ce n’est pas à l’Élysée, mais à l’Assemblée que se votent les lois ». Et si l’accord sur les législatives n’est pas encore bouclé — une dernière réunion des trois formations du Front de gauche est prévue le 10 juin –, le PCF ne cédera pas plus de 22 % des circonscriptions à ses partenaires. Ces arguments rassureront-ils les militants communistes ?
Tout au long des débats de ce week-end, la direction du PCF a dû faire face aux réticences et aux oppositions conjuguées des « orthodoxes » et de ceux qui veulent ménager le Parti socialiste. Et à des préoccupations d’apothicaires. Elle a été ainsi accusée par plusieurs délégués d’accepter une répartition des circonscriptions qui équivaut à donner 155 000 voix de 2007 au PG et à GU au lieu des 140 000 prévues dans le mandat initial, fragilisant ainsi le financement du PCF. Une voix rapporte 1,67 euro par an, avait rappelé le trésorier, parti en invitant chacun à ne pas oublier cet enjeu dans la discussion sur les accords. « Pour ne rien perdre, il suffit de passer d’une moyenne de 4,83 % pour les candidats du PCF en 2007 à 5,45 % pour le Front de gauche en 2012 », s’est défendue Marie-George Buffet, qui conduit les négociations sur les législatives en estimant que la dynamique permettra de n’avoir « aucune perte financière ».
La direction du PCF a surtout dû céder à la pression de ceux qui réclamaient que les communistes puissent être consultés sur l’ensemble des candidats et non sur la seule proposition de la conférence nationale. À l’ouverture de la conférence, vingt et un responsables fédéraux formulaient cette exigence dans un texte commun qui pointait habilement « un risque réel de démobilisation des communistes pour la campagne » s’ils avaient le sentiment de n’avoir « plus le choix devant une candidature imposée par les médias » et « présentée comme inévitable ». Prétextant lui aussi cette possible frustration des communistes, André Chassaigne a décidé de maintenir sa candidature, prenant le contre-pied de ses déclarations antérieures où il assurait qu’il se plierait à la décision de la conférence afin de ne pas engager le PCF dans une sorte de primaire. Le député du Puy-de-Dôme, soutenu jusqu’ici par un nombre important de militants qui souhaitaient une candidature communiste pour représenter le Front de gauche, devrait attirer aussi sur son nom, quoi qu’il en dise, les suffrages des communistes identitaires hostiles à cette alliance et à Jean-Luc Mélenchon. Si Emmanuel Dang Tran, secrétaire d’une section parisienne, qui conteste les évolutions du PCF depuis trente ans, se maintient tout en reconnaissant que ses amis seront tentés de « voter utile », le député du Rhône André Gérin, figure des « orthodoxes », a retiré sa candidature et appelle à voter « massivement » pour André Chassaigne sans cacher son objectif : « Il est possible que Jean-Luc Mélenchon soit mal ou pas élu du tout », écrit-il sur son blog. « Si Jean-Luc Mélenchon n’est pas désigné, il n’y aura plus de Front de gauche. Le scénario construit depuis des mois sera complètement remis en question. »
Lundi matin sur RFI, Pierre Laurent a convenu que la désignation d’André Chassaigne « ferait entrer le Front de gauche dans une période d’instabilité et de non-décision ». Ce n’est « pas un choix entre plusieurs personnalités », a-t-il expliqué, mais « entre plusieurs options ». Deux, en fait : pour ou contre le Front de gauche.