Disneyland, le royaume désenchanté

Les conditions de travail se dégradent pour les salariés d’Euro Disney. Plusieurs documents qui viennent d’être publiés témoignent de baisses d’effectifs, d’inégalités salariales ou de freins à l’évolution.

Lucie Girardot  • 9 juin 2011 abonné·es

«Dans un royaume enchanté, pas très loin d’ici, les héros de Disney évoluent dans des contes de fées qui ne s’arrêtent jamais. » Pour les salariés qui endossent leur costume tous les jours, ce n’est pas tout à fait le « bonheur sans limites » que l’entreprise Euro Disney vante aux touristes sur sa page web. En témoignent le bilan social de l’année 2010, paru en avril, et les résultats compilés de deux enquêtes menées pour la direction générale auprès d’une majorité de salariés. Réalisées en 2010 mais publiées seulement fin mai de cette année, elles révèlent plusieurs sources de tensions au sujet des conditions de travail sur le site de Disneyland Paris. Avec près de 14 700 employés, le complexe de loisirs est le premier employeur mono-site d’Île-de-France. Première destination touristique en Europe, ses parcs à thèmes et ses hôtels ont attiré 15 millions de visiteurs en 2010 et généré 3 milliards d’euros de valeur ajoutée directe, indirecte et induite pour l’économie française. Cependant, selon le secrétaire adjoint du syndicat FO Disney, David Charpentier, « les statistiques sociales sont au rouge ».

Malgré l’ouverture de trois nouvelles attractions en 2010 et un taux de fréquentation croissant, le nombre d’effectifs permanents a diminué de 200 salariés par rapport à l’année précédente. « Il y a un manque d’investissement en termes de personnel dans la société, qui passe par une politique de non-remplacement. Cela a augmenté la pression sur les employés », confirme Noël Barbier, de la CFTC Euro Disney. D’où un nombre accru d’accidents du travail et de salariés en « restriction médicale ». Selon le bilan social de 2010, le taux de fréquence d’accidents du travail avec arrêt est passé de 57 % en 2008 à 71 % [^2] en 2010, soit un taux supérieur à celui du secteur du BTP. Les horaires de travail, eux, sont difficiles à concilier avec la vie familiale : les salariés travaillent chaque week-end, parfois jusqu’à 2 heures du matin dans certaines boutiques pendant la haute saison. Chaque mois, les horaires sont modulables pendant une semaine en fonction des besoins. Malgré cela, l’entreprise n’a pas mis en place de dispositif d’accueil pour la petite enfance.
Quant aux salaires, on observe un manque criant d’équité, en dépit des négociations salariales de mai 2011, qui ont conduit à une revalorisation. Les plus bas échelons obtiendront ainsi une augmentation de 50 euros bruts mensuels, sachant que les dix dirigeants les mieux rémunérés ont engrangé 1,4 million d’euros en 2010.


Les résultats des deux sondages de 2010 ont aussi révélé le sentiment d’un manque de visibilité et de communication sur la stratégie de l’entreprise. « Les salariés ne comprennent pas la politique salariale. Ils ne voient pas où ils vont, car la direction ne communique pas ses plans d’actions à court, moyen et long terme », assure Noël Barbier. Par exemple, la demande de mobilité et de progression en interne n’est pas satisfaite. Un éventail de cinq cents métiers est représenté à Euro Disney. L’organisation est hiérarchique et décentralisée en fonction des différents établissements et pôles : l’employé, l’employé autonome, l’agent de maîtrise et le cadre. Chaque boutique est dotée d’un budget et d’un chiffre d’affaires à atteindre. C’est le manager, avec ses managers subalternes, qui gère ses « cast-members » (les membres de la troupe), un terme issu du vocabulaire théâtral pour désigner les salariés de Disney. « Il reste très difficile d’évoluer entre les départements [hôtellerie, restauration, attractions] et de monter en grade, remarque Noël Barbier. Sur certains postes, Disney préfère amener du sang frais plutôt que de faire évoluer des personnes qui, en interne, sont capables de le faire. »


Des points positifs se dégagent toutefois du sondage de 2010, comme la « fierté de travailler pour Disney », une bonne ambiance et des rapports positifs avec l’encadrement de proximité. Mais pour Sébastien Roffat, auteur de Disney et la France [^3], il faut introduire une nuance entre permanents et saisonniers. « Pour les saisonniers, c’est une bonne expérience, on passe du bon temps, on s’amuse bien. Quand on est jeune, on peut se permettre de ne pas avoir de week-end, de rentrer tard le soir, explique l’historien, qui a travaillé deux étés de suite à Euro Disney. Pour ceux qui sont là depuis longtemps, qui travaillent à plein-temps depuis plusieurs années, c’est vrai que ce n’est pas très réjouissant. Mais j’en connais qui sont partis et l’ont ensuite regretté parce qu’ils se disent que, finalement, ce n’est pas pire qu’ailleurs. » Le turnover a chuté à 13 % en 2010, alors que, selon le syndicat FO, il atteignait 20 % les années précédentes ; l’ancienneté moyenne est désormais de dix ans. Des chiffres qui peuvent aussi s’expliquer par la crise, qui n’incite pas vraiment à tenter sa chance sur le marché de l’emploi…


La direction générale d’Euro Disney , qui n’a pas souhaité répondre à nos demandes d’entretien, a annoncé la mise en place d’un « nouveau contrat d’engagement » dès septembre prochain. « Depuis que je suis arrivé à Disney en 1999, il y a eu quatre gros sondages, souligne David Charpentier, qui craint un effet d’annonce. On nous dit toujours, la main sur le cœur, “on ne savait pas, on vient de se rendre compte, mais ne vous inquiétez pas, cela va changer”. Or, chaque fois, ce sont les mêmes revendications qui reviennent. » Pas étonnant pour une société endettée à hauteur de 2 milliards d’euros, qui doit reverser 6 % de son chiffre d’affaires en royalties à la Walt Disney Company. Certains salariés ne croient plus aux contes de fées.

[^2]: Le taux de fréquence est le nombre d’accidents avec arrêt de travail supérieur à un jour survenus au cours d’une période de 12 mois par million d’heures de travail.


[^3]: L’Harmattan, 2007.

Temps de lecture : 5 minutes