Jeannette Sanchez : « Le système du buen vivir »

L’Équateur a intégré dans sa Constitution l’économie populaire et solidaire. Les explications de Jeannette Sanchez, ministre du Développement social.

Andrea Weyrauch  • 16 juin 2011 abonné·es

Politis : Dans la nouvelle Constitution, adoptée en 2008, vous parlez d’un système économique social et solidaire. En quoi cela consiste-t-il ?


Jeannette Sanchez : Le peuple s’est exprimé en faveur de ce que, dans le monde andin, nous appelons le « buen vivir », c’est-à-dire le bien-vivre, pas seulement à un niveau individuel, mais dans une collectivité, dans la société et en harmonie avec la nature. C’est un système plus juste, centré sur le développement des personnes, une économie avec le marché mais aussi avec d’autres composantes.

Comment espérez-vous
le mettre en place ?
 La définition est en construction et ne permet pas encore de produire des indicateurs stabilisés. C’est un concept ouvert, caractéristique d’un nouveau socialisme que nous sommes en train de construire. Il ne satisfait pas la droite, ni la gauche la plus radicale, qui, tout en s’opposant, n’arrive pas à penser la complexité du pouvoir. D’une part, des écologistes extrêmes nous disent de ne plus extraire le pétrole et d’arrêter de croître. D’autre part, les entrepreneurs disent que nos politiques ne les laissent pas investir, que tous ces changements génèrent une insécurité juridique. La transition requiert des débats culturels, des changements d’attitude et de nouveaux concepts dans une société hétérogène où les acteurs sont multiples, avec des intérêts et des imaginaires différents. Nous avons besoin que se manifeste une convergence de forces pour avancer dans la direction indiquée par la Constitution.


La Constitution reconnaît une pluralité de formes économiques, pourquoi avez-vous affirmé la nécessité d’un modèle pluriel ?
 Ce qui nous a amenés à le faire est en premier lieu une reconnaissance de la réalité que nous vivons. Dans l’économie de l’Équateur coexistent diverses logiques. La Constitution divise l’économie en trois secteurs clés : l’économie publique, ­l’économie privée, l’économie populaire et solidaire. La Constitution a permis de donner de la visibilité aux acteurs de l’économie solidaire, qui auparavant étaient invisibles parce que nous étions dans l’illusion qu’existaient seulement l’économie publique et l’économie privée, comme s’il n’y avait qu’une forme légitime d’entrepreneuriat et que tout le reste était une distorsion. L’économie populaire et solidaire est cette économie du peuple, des unités domestiques, des petites productions familiales, des travailleurs à leur compte, et aussi les formes les plus organisées comme celles des coopératives et des associations. Avec cette définition, le gouvernement n’idéalise pas l’économie populaire, qui peut être parfois sauvagement concurrentielle, mais la reconnaissance des formes multiples et de toutes les logiques présentes dans la vie concrète est un premier pas pour avoir des politiques publiques qui promeuvent des relations plus solidaires.

Cette année, vous avez de plus voté une loi d’économie populaire et solidaire…
 Effectivement. Cette loi crée une nouvelle architecture institutionnelle avec une organisation nationale, l’Institut d’économie populaire et solidaire, et une administration financière spécialisée en économie populaire et solidaire. Pour développer des politiques appropriées, nous avons besoin d’une information sur cette économie, mais cette information n’existe même pas concernant les coopératives. Parallèlement, le gouvernement est soucieux de capacité de régulation des marchés, et nous avons créé une loi antimonopoles.


Vous avez mentionné 
qu’en plus du changement institutionnel il fallait créer 
des bases matérielles. 
À quoi vous référez-vous ?
 Avancer vers un système social et solidaire amène à en créer les bases matérielles. Pour cela, nous amplifions les politiques de redistribution, nous sommes en train d’universaliser la Sécurité sociale, de réformer le code du travail, d’éliminer la sous-traitance des travailleurs. En quatre ans, nous avons triplé l’investissement social. Nous avons amélioré la capacité de l’État à percevoir les impôts pour pouvoir redistribuer plus, et cela pour réduire les inégalités, nous attaquer à la pauvreté, améliorer l’éducation, diminuer la mortalité que génère la malnutrition chronique, valoriser le travail domestique des femmes. Il est indispensable de dépasser la conception dominante qui nie les acteurs sociaux et leurs capacités à construire un autre système économique.

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