Le boycott d’Agrexco se veut européen

Le premier forum européen des campagnes contre la société israélienne Carmel-Agrexco se tient à Montpellier les 4 et 5 juin. Au programme : un agenda d’actions juridiques contre ce symbole du colonialisme.

Lucie Girardot  • 2 juin 2011 abonné·es
Le boycott d’Agrexco se veut européen
© Photo: AFP / Buimovitch

Voilà trente ans que des actions de boycott sont menées dans plusieurs pays d’Europe contre le plus grand exportateur israélien de produits frais, Carmel-Agrexco. Les 4 et 5 juin, des délégations de 10 pays européens, des avocats français et peut-être palestiniens, ainsi que des représentants du BNC, le comité national palestinien de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), viendront tirer le bilan des campagnes réalisées à ce jour contre Agrexco. Et définir une stratégie de lutte d’envergure européenne. Il s’agit de « passer dans chaque pays à une étape supérieure dans les actions juridiques et de boycott des produits et de l’entreprise Agrexco-Carmel […] pour frapper la cible ensemble et en même temps » , indique le communiqué de la Coalition contre Agrexco, un collectif français composé de 105 associations, syndicats et partis politiques de gauche (tous, à l’exception du PS). Un objectif conforme à l’appel lancé par le BNC en décembre 2009 en faveur du boycott total de l’entreprise.

« Agrexco est un symbole de la colonisation, de la spoliation de la terre et des biens des Palestiniens » , rappelle Jean-Paul Nuñez, délégué national de la Cimade. Détenue à 50 % par l’État israélien, elle exporte des fruits, des légumes et des fleurs vers l’Europe sous diverses marques (Carmel Ecofresh, Carmel Biotop, Jordan River, Jaffa, Alesia et Coral), et y possède huit bureaux de représentation. Sous l’étiquette « produit d’Israël » , elle commercialise illégalement des produits provenant entre 60 et 70 % des colonies israéliennes, ainsi que des produits cultivés par des paysans palestiniens, contraints pour assurer leur subsistance de vendre leur production à Agrexco, ou de travailler pour elle comme ouvriers agricoles précaires. L’exploitation des ressources agricoles palestiniennes au profit d’Agrexco est particulièrement massive dans la vallée du Jourdain, où 7 000 colons occupent 95 % des terres et contrôlent 98 % de l’eau.

Illustration - Le boycott d’Agrexco se veut européen

La bataille contre Agrexco constitue une action centrale dans le cadre de la campagne BDS en Europe. Car l’entreprise entend bien stabiliser son implantation dans l’Union européenne, via le redéploiement de ses activités dans le port de Sète, un port sinistré au climat social plus tranquille que celui de Marseille, où elle était ancrée depuis quarante ans. À partir du 15 juin prochain, elle y débarquera chaque semaine ses palettes de produits frais à destination de toute l’Europe. « Nous sommes là pour une dizaine d’années » , affirme Ouzis Kouris, gérant d’Agrexco France. Dix ans, c’est en effet la durée pendant laquelle la Région Languedoc-Roussillon s’est engagée à subventionner l’investissement, à hauteur de 200 millions d’euros.
Et face à la coalition d’associations qui s’est constituée en mai 2009 contre le projet du défunt président de la Région, Georges Frêche, de faire d’Israël un partenaire commercial de premier plan, Agrexco a aussitôt riposté. « Elle a essayé de saboter notre campagne de boycott avec l’opération “Fraises de Gaza” » , une campagne de publicité annonçant qu’elle soutenait l’exportation de fraises palestiniennes depuis la bande de Gaza, indique José Luis Moraguès, l’un des animateurs du collectif contre Agrexco. Une opération vite dénoncée par le BNC palestinien. « C’est pour cela que nous avons pris l’initiative de ce forum. »

Les ateliers porteront sur deux types d’actions : d’une part, le boycott des produits d’Agrexco, d’autre part, une « guérilla juridique » dirigée contre l’administration de l’entreprise. « Nous voulons suivre une méthode des petits pas, qui permette d’agir sans soulever des montagnes » , explique Me Gilles Devers, un avocat membre du collectif. Les exportations israéliennes sont soumises à un accord préférentiel UE-Israël. Des requêtes peuvent donc être déposées contre de petites infractions commises par Agrexco devant les tribunaux locaux des pays européens concernés. Les militants français envisagent, par exemple, de déposer une plainte pour fraude douanière devant les juridictions de Montpellier, s’appuyant sur le constat établi par un huissier de justice en février 2011 : Agrexco ment bel et bien aux douanes françaises sur l’origine des produits qu’elle exporte, afin de bénéficier de tarifs préférentiels. « Trente avocats palestiniens et des syndicats de producteurs palestiniens sont prêts à travailler sur cette question, main dans la main avec la Confédération paysanne et nos avocats européens » , affirme Gilles Devers, ravi de l’enthousiasme des Palestiniens devant le laboratoire juridique que le forum de juin s’apprête à mettre en place.

Mais les opposants à Agrexco n’entendent pas s’arrêter là. « Au cours de ce forum, nous allons réfléchir à la possibilité de mener une action en justice pour empêcher le débarquement en Europe de produits en provenance des colonies » , avance l’avocat. En vertu de l’arrêt Brita, rendu par la Cour de justice européenne en 2010, seuls les produits israéliens élaborés dans les frontières de l’État d’Israël d’avant 1967 peuvent bénéficier d’exemptions de droits de douanes dans le cadre des accords préférentiels UE-Israël. Israël n’a donc aucun droit pour délivrer des certificats d’origine sur des produits fabriqués dans les territoires palestiniens. La Coalition garde l’espoir de faire condamner un jour Agrexco et l’État français pour complicité de crime de guerre, même si le projet ne peut aboutir immédiatement. « Si nous avions les moyens financiers pour le faire, poursuit Gilles Devers, nous pourrions légitimement aller devant la Cour de justice européenne ou la Cour pénale internationale. » En effet, selon plusieurs traités de droit international, l’exploitation économique de territoires occupés de façon prolongée, au moyen de la force armée, accompagnée de surcroît d’un transfert de population, est considérée comme un crime de guerre. Les instances qui participent à l’économie des territoires conquis par l’État israélien sont donc complices. Contactée par Politis, la Région Languedoc-Roussillon ne semble pas inquiète, et ferme les yeux sur l’éthique devant la perspective de relancer l’activité du port de Sète. À quand la primauté effective du droit sur les considérations économiques ?

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