Le monde bouge, pas Israël
dans l’hebdo N° 1155 Acheter ce numéro
Nous gardons tous en mémoire les images furtives, sombres et saccadées, de l’assaut donné au matin du 31 mai 2010 par un commando israélien contre le ferry turc Mavi Marmara, navire amiral d’une petite flotte qui tentait de rallier Gaza. L’abordage s’était soldé, on s’en souvient, par la mort de neuf militants turcs. Effectuée en dehors des eaux internationales, et d’une violence insensée en regard de la nature du convoi, l’opération avait soulevé l’indignation un peu partout dans le monde. Elle a surtout ouvert une crise majeure entre Israël et la Turquie. Plus encore que les mille cinq cents morts de Gaza, en décembre 2008 et janvier 2009, plus que les civils tués au Sud-Liban au cours de l’été 2006, cette affaire avait contribué à dégrader l’image d’Israël. Un an plus tard, une nouvelle flottille s’apprête à prendre la mer pour apporter une aide humanitaire dans l’étroit territoire palestinien soumis au blocus depuis 2006.
Quinze navires devraient appareiller aux alentours du 20 juin de plusieurs ports de la Méditerranée, dont un de Marseille. Ils transporteront des vivres, des médicaments et des matériaux pour la reconstruction de quartiers anéantis par les bombes israéliennes. Mais, aujourd’hui, le contexte est très différent. Les révolutions arabes ont bouleversé le paysage politique. L’Égypte, d’ores et déjà, n’est plus pour Israël cette alliée docile qui assurait le blocus sur la frontière sud de Gaza. Depuis quelques jours, la « nouvelle Égypte » a rouvert le terminal de Rafah. Un filet d’air frais pour la population de Gaza, et un espoir. Mais sûrement pas la fin d’un blocus qui prive l’enclave de toute relation commerciale et de tout débouché maritime. En outre, nul ne sait ce qui va advenir en Syrie, où la plus sanglante des répressions ne parvient pas à venir à bout du mouvement insurrectionnel. Tout change. Les deux principales composantes palestiniennes en ont tiré les leçons. Le Fatah et le Hamas s’apprêtent à former un gouvernement d’union en vue des prochaines élections présidentielle et législatives. Le monde bouge, pas Israël. Ou si ce pays fait mouvement, c’est toujours dans le mauvais sens. Dirigé par un gouvernement d’extrême droite qui ferait honte à toute nation se prétendant démocratique, Israël, plus que jamais, pense guerre, mur, enfermement, appropriation violente, et expansion coloniale. L’attitude de ce pays est un défi à la paix du monde, comme au droit international. Deux exemples, parmi tant d’autres : une commission d’enquête vient tranquillement d’absoudre les responsables de l’opération contre le ferry turc. L’armée régulière de ce pays peut se conduire en pirate sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit ! Plus anecdotique, mais non moins significatif. En 2000, à Ramallah, un soldat tire de sang-froid sur un journaliste français atteint au poumon [^2]. Onze ans plus tard, le 30 mai, une juge d’instruction parisienne a rendu un non-lieu. Motif : Israël a refusé d’exécuter la commission rogatoire par laquelle la juge demandait à la justice israélienne de poursuivre l’instruction sur son territoire. Décidément, rien ne ressemble ici ni à la pratique ni aux usages d’un pays qui prétend appartenir au concert des nations.
Pas étonnant dans ces conditions que le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, ait prononcé la semaine dernière le pire discours qui fût jamais prononcé par un dirigeant israélien. Et cela, devant le Congrès américain ! Comme un défi au président des États-Unis, Barack Obama. « Non » au partage de Jérusalem, « non » à une liaison entre Gaza et la Cisjordanie, « non » au retrait israélien de la rive occidentale du Jourdain, « non » aux frontières de 1967 internationalement reconnues. Le fond de la pensée de M. Netanyahou tenant finalement dans une formule : « Israël, a-t-il affirmé, est à peine plus grand que le Rhode Island et le Delaware. » Passons sur l’outrancière inexactitude de la comparaison pour en juger l’intention. Si l’histoire bouge, la géographie est immuable. Faut-il donc attendre que les continents se dilatent pour espérer la création d’un État palestinien ? « Il a craché au visage de Barack Obama » , a observé le pacifiste israélien Uri Avneri. Plus grave encore que les mots : chaque refus, chaque rejet a été salué par une standing ovation par les congressistes américains. Le même Uri Avneri a raison de souligner que ce discours du refus ne faisait sans doute pas l’unanimité, mais qu’il aurait été imprudent pour un congressiste de rester assis quand ses collègues se levaient.
C’est ici l’autre mâchoire du pouvoir de la droite israélienne : l’aile la plus inconditionnelle et la plus extrémiste du lobby juif américain paralyse Barack Obama, quelles que soient les convictions de celui-ci. Au point que le président américain a déjà annoncé que les États-Unis poseraient leur veto lorsqu’au mois de septembre l’Autorité palestinienne sollicitera de l’assemblée générale de l’ONU la reconnaissance d’un État de toute façon virtuel. La nouvelle stratégie palestinienne aura au moins l’avantage de placer chaque pays devant ses responsabilités. Que fera la France ? Que fera l’Union européenne ? Cela dépendra largement des sociétés civiles. La flottille pour Gaza s’inscrit précisément dans cette logique de substitution à une communauté internationale défaillante. Ne pas désespérer, malgré tout, de ce monde qui bouge tant, et crée tant de situations imprévues.
[^2]: Notre confrère Jacques-Marie Bourget travaillait à l’époque pour Paris Match.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.