« Les assurances privées ne résoudront rien »
Christiane Marty a étudié pour la Fondation Copernic la prise en charge de la perte d’autonomie et revendique la mise en place d’un système universel, solidaire et obligatoire.
dans l’hebdo N° 1156 Acheter ce numéro
Politis : Pourquoi défendez-vous les principes d’une protection sociale des personnes âgées dépendantes et des personnes en situation de handicap ?
Christiane Marty : Précisons que, pour l’instant, le gouvernement ne
s’intéresse qu’à la perte d’autonomie des personnes âgées de plus de 60 ans. Sur le principe, nous pensons que la réforme de la dépendance devrait aussi concerner les personnes en situation de handicap.
On connaît la philosophie des mesures que le gouvernement veut instaurer dans le cadre de sa réforme de la dépendance. Il assure vouloir mettre en place un socle de solidarité, mais il veut surtout ouvrir le marché aux assurances privées. On peut en déduire que ce socle de solidarité ne sera que minimal. Pour nous, la prise en charge de la perte d’autonomie devrait relever de la solidarité nationale, pour des questions d’égalité de traitement dans l’accès aux prestations et aux services. On sait bien qu’une assurance privée couvre plus ou moins le risque selon les moyens que chacun peut y consacrer. Elle devient de plus en plus chère si l’on exige un niveau élevé de garanties et de qualité des prestations. L’offre des assurances est inégalitaire dans son principe.
De plus, les contrats dépendance, qui sont tous « à gestion annuelle », ne sont pas sécurisés : l’assureur n’a aucune obligation de les renouveler chaque année, et l’assuré pourrait au final avoir cotisé pour rien. On sait aussi que, si de nombreuses personnes peuvent rester à domicile, c’est parce que leurs proches les prennent en charge. Le gouvernement compte sur cet important volume d’aide. Il a redit plusieurs fois que la solidarité familiale est la plus « naturelle » de toutes les solidarités. Mais ce sont essentiellement des femmes qui assurent ces fonctions de pourvoyeuses de soins, au détriment de leur propre autonomie ! Il n’est pas acceptable que la solidarité nationale se défausse sur la solidarité familiale, alors que la plupart des associations pointent que c’est déjà une charge très lourde et qu’il faut l’alléger.
Le gouvernement oppose un argument démographique pour expliquer qu’une nouvelle branche de la Sécurité sociale ne serait pas tenable. Qu’en pensez-vous ?
Dans le cadre de la réforme des retraites, le gouvernement invoquait une augmentation inquiétante du nombre de retraités et d’inactifs. Il tente le même argument alarmiste pour la dépendance. Or les différents rapports se rejoignent pour dire qu’il convient de dédramatiser l’évolution du nombre de personnes qui seront dépendantes dans vingt ans. Les études du groupe de travail mis en place par le gouvernement vont d’ailleurs dans le même sens. Par exemple, l’évolution des maladies neurodégénératives, une des principales causes de la perte d’autonomie, est difficilement prévisible, notamment en raison des progrès attendus de la recherche et des politiques de prévention et de dépistage.
L’autre argument avancé par le gouvernement est celui du financement de la dépendance, « insupportable » par la Sécurité sociale. Comment financer un système intégré dans la Sécu ?
Le gouvernement nous dit que le niveau des prélèvements obligatoires est insupportable et que le financement public ne pourra pas répondre aux besoins des personnes dépendantes. Il serait donc hors de question d’augmenter les cotisations. La part de ces prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) dans le PIB est de l’ordre de 43 %. Un pays comme la Suède est à 47 % et prend en charge presque gratuitement la perte d’autonomie des personnes qui sont dans des maisons médicalisées ou bénéficient de services à domicile. Les prélèvements sont plus importants, certes, mais les services rendus sont plus nombreux et de meilleure qualité. De toute façon, les primes versées aux assurances pèseraient tout autant sur le budget des personnes qu’une cotisation supplémentaire. Et les primes versées aux assurances alimentent les marchés financiers et les profits des assurances, ce qui n’est pas le cas des cotisations sociales.
Fiscalité, cotisation, quelle est la contribution que vous proposez et quel est le montant des ressources nouvelles nécessaire pour assurer le financement de la dépendance dans le cadre de la Sécurité sociale ?
Il y aura des besoins nouveaux car il faudra décharger les aidants familiaux. Il faudra aussi améliorer les salaires, la formation et le parcours professionnels des personnels travaillant dans ce secteur. Comment financer tout cela ? Par la fiscalité ou la cotisation, chacune répond à une logique différente. Mais, quelle que soit l’option, le coût de la prise en charge de la dépendance, y compris la partie soins, devrait représenter de 1,5 à 1,8 % du PIB d’ici à une vingtaine d’années. En y ajoutant un point de PIB pour le transfert à des professionnels de ce qui pèse sur les aidants familiaux, on arrive à une estimation de 2,5 à 2,8 % du PIB. Cela ne mettra pas l’économie par terre ! On peut mettre ce montant en regard avec les niches fiscales, qui, à elles seules, ont représenté 75 milliards d’euros en 2010. Ou encore avec les 40 milliards d’euros de dividendes versés en 2010 par les entreprises du CAC 40. Si l’on veut vraiment appliquer le principe d’une meilleure répartition des richesses, il n’y a aucun problème à financer 2 ou 3 points de PIB. On peut même se fixer l’objectif d’une reconnaissance d’un droit universel à une prise en charge à 100 % de la perte d’autonomie.