Les engagements de Mélenchon
dans l’hebdo N° 1158 Acheter ce numéro
Les communistes ont fait samedi le choix que leur dictait la raison. En adoubant Jean-Luc Mélenchon, ils ont placé sur orbite le meilleur candidat pour la mouvance à laquelle ils appartiennent. Ce n’est pas là un jugement de valeur désobligeant pour ses concurrents, c’est prendre acte d’une réalité : Mélenchon est celui qui a su entrer dans cet univers médiatique hors duquel rien ne sera possible tant que l’élection présidentielle occupera la place délirante que lui confèrent les institutions de la Ve République. On peut toujours rêver d’une « dépersonnalisation » du débat politique, ce n’est manifestement pas pour demain. À partir de ce constat, deux attitudes sont possibles. On peut se retirer sur son Aventin en refusant la moindre concession au système, et en pariant sur le fait que, de toute façon, ce n’est pas dans cette compétition électorale que se joue le destin des peuples. C’est, semble-t-il, l’option majoritaire au sein du NPA.
L’influence des révolutions arabes et, en Europe, le mouvement des « indignés » donnent à ce discours une certaine crédibilité. L’autre attitude est celle d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Le parti écologiste a choisi des personnalités d’abord connues pour être médiatiques avant d’être politiques. Pour résumer : Nicolas Hulot se politise quand Jean-Luc Mélenchon se médiatise. Chacun se hasardant sur le chemin qui n’est pas naturellement le sien. Quand on est de gauche et qu’on n’est pas, comme Hulot, enfant du système, il faut pour parvenir jusqu’aux plateaux de télévision jouer un jeu dangereux en territoire souvent hostile.
Jusqu’à maintenant, Mélenchon s’est plutôt bien sorti de ce piège. Il a parfois trébuché — et nous l’avons dit sans aménité –, il lui est arrivé aussi d’abuser des coups de gueule et des provocations. Ce qui lui a valu d’être affublé par certains de cette stupide épithète de populiste. Mais il a finalement acquis une position à partir de laquelle il peut aujourd’hui faire entendre un discours social peu audible dans les grands médias. C’est de cette réalité que les militants communistes ont pris acte samedi. Aujourd’hui, tout commence. Mélenchon défend des valeurs sociales que nous partageons, comme en témoigne son analyse de la crise grecque. Mais, avec lui, nous avons eu aussi (ou nous avons encore) de nombreux désaccords sur des sujets qui nous inscrivent davantage dans le voisinage d’EELV : l’écologie, c’est une évidence, mais aussi une vision trop dogmatique de la « république » et de la sacro-sainte laïcité dont l’invocation intempestive peut être entendue comme une difficulté à admettre la diversité de notre peuple. Un verbe suranné aussi (Ah « la main de fer » exaltée dimanche soir à la télévision !). Ce qui cependant atteste une évolution positive, c’est la pluralité des courants du Front de gauche, dont certains émettent les mêmes critiques que nous. L’homme est ce qu’il est, mais il a su s’entourer de personnalités venues d’autres horizons politiques. On pense notamment à Martine Billard, qui vient des Verts. Enfin, Mélenchon lève dans l’entretien que nous publions deux hypothèques qui risquaient de peser lourdement sur sa campagne. Même s’il réalise un bon score — « à deux chiffres », comme il l’espère –, il n’utilisera pas sa position pour négocier un maroquin ministériel.
Quoi qu’il arrive, il n’ira pas dans un gouvernement socialiste. Le Front de gauche se projette donc au-delà de la seule échéance présidentielle. L’autre hypothèque concerne l’avant premier tour. Mélenchon ne cédera pas à la pression du « vote utile », ni au spectre d’un nouveau « 21-Avril ». C’est aussi la question que lui pose Myriam Martin, figure montante du NPA. Ce qui le situe aux antipodes de la démarche préconisée par Daniel Cohn-Bendit. Ceux qui portent un jugement définitif sur le Parti socialiste trouveront là des motifs de satisfaction. Ce débat n’est évidemment pas clos. Les campagnes que mèneront les socialistes et les écologistes fourniront d’autres éléments d’appréciation. Mélenchon est convaincu que les socialistes français, quel que soit leur candidat, ne feront pas une autre politique que celle de Papandréou en Grèce et de Zapatero en Espagne. C’est-à-dire celle d’une alternance qui n’est jamais une alternative au néolibéralisme. Les discours et les programmes semblent pour l’instant lui donner raison. C’est une façon de retourner en direction des socialistes la question du 21-Avril : à eux d’apporter la preuve que Mélenchon se trompe, et que leur candidat romprait avec une politique de soumission au FMI, et avec celle des socialistes européens au pouvoir actuellement.
Nous avons nous aussi notre idée sur la question. Un « préjugé » instruit par l’histoire (au passage, la fidélité toujours proclamée à François Mitterrand, qui fut l’homme du ralliement au néolibéralisme, reste comme une contradiction dans le discours de Mélenchon). Cela ne nous empêchera pas d’observer les évolutions qui peuvent intervenir au cours de la campagne. Car il y a un paramètre que nous n’oublions jamais et qui peut réchauffer les discours les plus tièdes. C’est évidemment la crise, et la pression qu’un vaste mouvement social peut exercer demain sur les dirigeants européens. Autrement dit, ce que nous avons entendu de la bouche de Mélenchon et des dirigeants communistes est bon à entendre. Mais l’histoire réelle est encore à écrire. Et elle s’écrira dans une situation que tout le monde ignore.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.