Manifestants et supporters

Pendant plusieurs jours, la police a harcelé les indignados de Barcelone, les délogeant même de la place de Catalunya. Les manifestants y sont revenus pacifiquement. Carnet de bord.

Alain Lormon  et  Aurel  • 2 juin 2011 abonné·es

Jeudi 26 mai, les militants du campement n’ont qu’un souci : que la manifestation ne tourne pas à la beuverie. Ne pas donner à la police le moindre prétexte pour intervenir. La proximité de la finale de la Ligue des champions Barcelone-Manchester est, pour eux, à haut risque. Bien que le match ait lieu à Londres, les « campeurs » connaissent leur ville : en cas de victoire du « Barça », ce sera le déferlement. Pour déjouer le piège, ils tentent d’interdire la vente d’alcool sur la place. Oui, mais qui sont les vendeurs de bière ici ? Des Pakistanais ! En toute hâte, on cherche des traducteurs d’urdu. Voilà l’obsession : ne pas laisser le mouvement être détourné. Et éviter que la manifestation pacifique devienne la cible de provocateurs.



Vendredi, 6 h du matin. Leurs efforts n’y ont rien fait. Malgré les gages de sérieux et de bonne organisation, la police donne l’assaut au campement. Brutalités en cascades. En fait, ordre ou désordre, foot ou pas foot, tout n’est que prétexte. Les autorités voulaient détruire le campement. Toutefois, le mouvement a plié mais n’a pas rompu.



Vendredi, 10 h. Le bruit assourdissant d’un hélicoptère de police. Des camions-poubelles. Des bennes et des véhicules de nettoyage. Une nuée d’éboueurs jaune fluo. Et des policiers, encore beaucoup de policiers. Voilà à quoi ressemble la place de Catalunya. Seuls restent accrochés dans les statues ou aux lampadaires quelques slogans entre humour et utopie.
Expulsés manu militari, les occupants de la place n’ont pour autant pas renoncé à l’idée de poursuivre la lutte. Ils sont cantonnés par les Mossos d’Esquadra (police catalane) sur les trottoirs au pied des immeubles bordant la place. Banques, centres commerciaux, hôtels de luxe. Une façade arbore une publicité pour une marque de voitures japonaises : «  New Thinking, new possibilities ». À point nommé !


Le temps passe et la pression pacifique de la foule se fait de plus en plus forte. Entre clameurs, slogans et applaudissements, plusieurs milliers de personnes marquent leur soutien aux quelques irréductibles restés sur la place. «  El pueblo unido jamas sera vincido.  » 


Au milieu des éboueurs, la petite centaine d’indignados encerclée par la police communique avec l’extérieur de la place par panneaux interposés : « L’assemblée a dit : la police dehors, nous nettoyons la place. »
 Vendredi midi. Le soleil cogne sur les casques noirs des policiers. Les chants, slogans et sifflets couvrent presque le bruit de l’hélicoptère qui ne cesse de tournoyer au-dessus de la place. Côté sud, la foule gagne mètre par mètre sur les cordons de police. Quelques coups de matraque apparemment gratuits s’abattent sur les premiers rangs. La foule y répond par une colère froide. Pacifique. Les militants s’assoient.

Des bras tendus brandissent le slogan « résistance pacifique ». Des policiers armés de fusils à lacrymo font leur apparition derrière le premier cordon de Mossos d’Esquadra. 
Alors que les éboueurs semblent quitter les lieux, les indignés restés sur la place tentent de résister à présent à la tentative de délogement entreprise par la police. Ils sifflent, crient, encouragent la foule à entrer sur la place. Les matraques se font plus lourdes. Les policiers — vraisemblablement en nombre insuffisant pour faire face — ne savent plus où donner de la tête. Des coups de feux retentissent : les fusils à lacrymo chargés à blanc. La clameur redouble. Des « Entrez ! Entrez ! » fusent.


À 12 h 30, à l’entrée sud de la place, le cordon de police est débordé. Les manifestants déferlent sur la place de Catalunya « rendue au peuple »… après « nettoyage ». Du village organisé depuis près de deux semaines, des installations autogérées, de la cuisine, il ne reste rien.


Deux heures plus tard, des indignés s’affairent à balayer et à passer la serpillière sur la place. Des tentes sont déjà remontées. Marta, médecin hospitalier et bénévole sur le camp, a retrouvé ses ­collègues infirmières et psychologues. Anna a réinstallé les livres de la bibliothèque du peuple (livres gratuits et livres à emprunter). Là, on récupère tout matériel pouvant servir à reconstruire le camp. Ici une commission « art, relations internationales, éducation » ; plus loin, un point information…



Vendredi, 17 h. La manifestation pour les services publics hospitaliers et l’éducation, partie du port aux cris de « haut les mains, ceci est un hold-up », en référence aux coupes budgétaires, remonte les ramblas pour retrouver la place.
À 19 h, la place est investie par plusieurs milliers de personnes sorties du travail. Seul le potager installé par les indignés dans les plates-bandes autour des fontaines est protégé. Ne pas piétiner les tomates, l’occupation sera encore longue…
S’il y a eu 130 blessés, samedi soir dans la capitale catalane, ce n’était pas là, et ce n’était pas le fait des indignados, mais bel et bien des supporters éméchés du Barça, vainqueur de la Ligue des champions de football…

Aurel, c’est le dessinateur attitré de Politis. Chaque semaine il croque l’actualité avec un dessin… ou plutôt deux, dont un trop méchant pour être publié. Découvrez ici tout son travail, dessins interdits compris.

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