Une victoire dans le désert médical

Le centre d’interruption volontaire de grossesse de l’hôpital Tenon à Paris a réouvert le 26 avril.
Les militantes contre sa fermeture restent cependant vigilantes.

Noëlle Guillon  • 2 juin 2011 abonné·es
Une victoire dans le désert médical
© Photo : Nelly Trumel

Elles se battaient depuis septembre 2009. Certaines n’avaient même jamais cessé de lutter depuis 1971 pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Tenon, avec son centre IVG (interruption volontaire de grossesse) fermé depuis presque deux ans, a été le symbole du recul national du droit à l’avortement (voir Politis n° 1137). Le Collectif unitaire pour le droit des femmes du XXe a finalement obtenu, le 26 avril, la réouverture de ce centre victime des restructurations entraînées par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). « C’est une belle victoire et un bel exemple de lutte citoyenne , se félicite Josée Pépin, membre du collectif. D’autant que nous n’avions de contact qu’avec les syndicats. Même à l’hôpital, nous n’avons jamais pu rencontrer le personnel du service de gynécologie-obstétrique. Maintenant que la réouverture est actée, nous restons vigilantes sur la qualité du centre IVG. »

Dès sa fermeture, à la suite du départ en retraite non remplacé du dernier médecin vacataire, les militantes avaient alerté l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). En vain. Il leur a fallu occuper l’hôpital par deux fois pour décrocher un rendez-vous avec la direction, le 12 avril 2010.
« On nous a expliqué la nécessité de mettre en place un parcours fléché. Une sorte de parcours du combattant pour les femmes demandant une IVG. Elles devaient d’abord attendre d’avoir un rendez-vous téléphonique avec le centre de réorientation de Tenon avant d’être adressées aux centres IVG des hôpitaux Saint-Antoine et Trousseau. Ce qui voulait dire parfois jusqu’à trois semaines d’attente ! Nous ne pouvions accepter ! Nous avons donc obtenu la commande d’un rapport sur l’accès à l’IVG dans l’Est parisien » , rappelle Josée Pépin. Un rapport interne, rendu en décembre, que le collectif n’a jamais pu consulter et qui n’a pas été rendu public… Mais qui a tout fait basculer : la réorganisation de l’offre dans l’Est parisien prévoyait en effet le regroupement de toutes les activités IVG sur Trousseau. Un centre qui réalise 1 200 IVG par an et qui devait monter en charge pour absorber les 500 IVG annuelles de celui de Tenon et les 700 de celui de Saint-Antoine.

Depuis fin 2009, le centre de Saint-Antoine peinait à accueillir toutes les femmes déboutées de Tenon. Or, il est quasi certain que Saint-Antoine va fermer en 2012. « Trousseau devrait récupérer ses patientes mais également ses moyens médicaux » , explique le professeur Jean-Marie Antoine, chef du service de gynécologie-obstétrique à Tenon. Une équation insoluble. « Le rapport montre que la fermeture de Saint-Antoine impose la réouverture de Tenon » , admet le praticien. C’est donc moins la lutte qu’une prise de conscience des chiffres qui aurait entraîné la réouverture de Tenon. « Mais sans nos occupations, pas de rapport, et sans ce rapport il y a fort à parier que l’AP-HP aurait fermé les deux centres sans tergiverser ! » , défend Josée Pépin.

Fortes de leur victoire, les militantes du collectif ont décidé d’accompagner la réflexion sur le « nouveau centre » Tenon. « Nous avons obtenu de nombreuses garanties positives , se réjouit Josée Pépin. L’IVG médicamenteuse y est bien limitée à 7 semaines d’aménorrhée [absence de règles], dans un contexte où certains hôpitaux n’hésitent pas, pour des raisons pratiques et de coûts, à l’étendre bien au-delà des recommandations de la Haute Autorité de santé [voir Politis n° 1147]. Et l’avortement sera bien possible jusqu’à 14 semaines d’aménorrhée, comme la loi le prévoit, mais c’est loin d’être le cas partout. » Le collectif s’inquiète cependant de ne voir que des médecins vacataires dans le centre actuellement. « Il peut certes fonctionner ainsi, mais il est important d’anticiper les remplacements, notamment pendant l’été » , pointe Marie-Hélène Durieux, infirmière à Tenon et syndicaliste SUD.

« Les vacations de médecins généralistes, c’est un choix de l’Assistance publique et un problème ancien, déplore le Pr Jean-Marie Antoine. Le remplacement pendant l’été ne peut pas toujours être assuré. Chez nous, de plus, le service de chirurgie ambulatoire, qui accueille les IVG par aspiration [sous anesthésie], ferme l’été. Les femmes seront forcément réorientées vers d’autres centres. » « C’est le fonctionnement médical actuel : les médecins sont obligés de faire des vacations pour obtenir un salaire décent. En outre, il y a un problème évident de recrutement lié à un désintérêt pour la pratique. Les médecins vacataires dans les centres IVG sont des médecins engagés ! » , précise Isabelle Fride, militante au Planning familial à Paris et au sein du Collectif du XXe.

Depuis sa réouverture, le centre IVG de Tenon est pris d’assaut. « Tout l’arrondissement revient, et même des gens de la périphérie » , constate l’infirmière Marie-Hélène Durieux. Mais le problème de l’IVG dans l’Est parisien n’est pas réglé. La brèche colmatée provisoirement risque de se rouvrir avec la fermeture de Saint-Antoine. Le collectif ne se voit pas protester contre cette autre fermeture pour le moment. « La force de notre collectif est d’avoir regroupé des femmes du quartier, directement concernées, estime Isabelle Fride, qui, à l’instar des plus jeunes militantes, y voit un exemple de démocratie locale. Nous avons maintenu la pression avec une vraie régularité d’actions. Nous ne pouvons pas nous déporter au-delà du quartier. Par contre, nous avons montré qu’il était possible de mener une réflexion locale, de s’impliquer et de permettre aux gens de garder espoir. »

Société
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