Avignon en enfance
Des bambins et des anciens, du « lourd » et quelques trublions. Le programme du festival annonce un bel et prometteur équilibre.
dans l’hebdo N° 1160 Acheter ce numéro
La première surprise du 65e Festival d’Avignon viendra de la présence, dès l’ouverture, de vingt-sept enfants, mêlés à neuf danseurs, de par la grâce de l’artiste invité, le chorégraphe Boris Charmatz.
Ce spectacle, d’ailleurs intitulé Enfant (photo ci-contre), pourrait constituer l’un des thèmes de la manifestation, puisqu’une autre réalisation traite du thème de la première jeunesse. Sun, qu’a conçu Cyril Teste, s’inspire d’une histoire vraie qui s’est produite en Allemagne il y a deux ans : un garçon et une fille de 6 ans ont quitté leur famille sans faire de bruit et pris le chemin de l’aéroport dans l’espoir de filer le parfait amour à l’étranger.
Mais, si on met à l’écart ces deux pièces, le festival offre ses plateaux à la génération des 40-50 ans, qui peut ainsi poursuivre sa transcription noire, passionnée, angoissée et fascinée de l’histoire et de la société présente.
Ce sera l’avant-dernière programmation des directeurs actuels, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, qui seront dans deux ans remplacés par Olivier Py. Ils n’ont pas démérité. Tenir un tel cuirassé n’est pas chose facile. Ils ont su le faire tourner et redresser la barre alors que leurs premiers choix avaient suscité des levées de boucliers. Mais la formule qu’ils avaient imaginée — nous dirigeons mais nous partageons le pouvoir avec un grand artiste européen — n’est pas très bonne. On ne sait plus qui est le patron, et certains partenaires prennent étrangement leurs responsabilités (tel Jan Fabre faisant venir les artistes qu’il a sous contrat !).
S’ils ont un temps oublié les grands anciens, Archambault et Baudrier les rétablissent cette année. On se réjouit de voir Jeanne Moreau, qui vient dire avec son cadet Étienne Daho, qui chante, le très beau Condamné à mort de Jean Genet (une seule représentation, le 18).
Moindre enthousiasme concernant la venue de Patrice Chéreau. Dans ses derniers spectacles, ce géant du théâtre confond le vide et le plein. I Am The Wind, de Jon Fosse, mis en scène par lui et joué par deux acteurs anglais, fait un tour d’Europe après avoir été créé à Londres et représenté au Théâtre de la Ville, à Paris. Malheureusement, ce spectacle frise tout simplement la vacuité.
Au chapitre des événements attendus, Mademoiselle Julie, de Strindberg, interprétée par Juliette Binoche est l’objet de toutes les impatiences. On espère que la cérébralité forcenée du metteur en scène, Frédéric Fisbach, ne donnera pas à la soirée un corset trop serré. Mêmes espoirs et mêmes réticences pour l’adaptation de Jan Karski, le roman de Yannick Haenel sur ce personnage qui tenta en vain d’alerter l’Europe et l’Amérique sur le génocide des Juifs : Arthur Nauzyciel a confié la plus large part du texte à l’un de nos plus grands comédiens, Laurent Poitrenaux.
Enfin, la venue des Tunisiens Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, avec Yahia Yaïch-Amnesia — parabole sur un tyran déchu –, correspond à ce que l’on attend d’un théâtre férocement contemporain.
Les metteurs en scène sont aussi les vedettes d’Avignon. Dans ce domaine-là, on retrouve des habitués : le corrosif Argentin Marcial di Fonzo Bo, qui monte deux fresques de Rafael Spregelburd, l’Entêtement et la Paranoïa, le visionnaire flamand Guy Cassiers, qui se soucie à présent de Jeanne d’Arc et de Gilles de Rais ( Sang & Roses ), l’Italien halluciné Romeo Castellucci, qui présente Sur le concept du visage du fils de Dieu, le Français Vincent Macaigne, qui revisite Hamlet dans une obsession de la colère, la déchirante Espagnole Angelica Liddell… Les auteurs, cependant, n’auront pas la part du pauvre, avec les créations de Pascal Rambert (voir ci-contre) et Christophe Fiat. Sans oublier les multiples « mises en espace » qui saluent le quarantième anniversaire du Théâtre Ouvert de Lucien et Micheline Attoun. L’humour n’étant pas la qualité première des organisateurs, on est heureux qu’ils aient quand même pensé à demander une pièce à Sophie Pérez et Xavier Boussiron. Ces deux trublions jonglent avec les mythes, les creusent et les mettent en cause à la fois. Leur spectacle s’appelle Oncle Gourdin, ce qui promet.
Enfin, le rire d’un disparu tournoiera dans la ville close. Philipe Avron est mort l’an dernier pendant le festival, après avoir joué jusqu’au bout de ses forces. Une journée d’hommage lui sera consacrée. Le 19 juillet, la maison Jean Vilar et le musée Calvet accueilleront une série d’événements et quelques projections. Avron, ce cher disparu, reste toujours l’antidote à l’esprit de sérieux qui rôde tant derrière les remparts.