Chili : étudiants en colère
Depuis six semaines, une forte mobilisation nationale de la jeunesse déstabilise le gouvernement.
dans l’hebdo N° 1163-1165 Acheter ce numéro
« L’éducation est un droit ! » , s’exclame Javier Palacios, étudiant en physique de 19 ans, qui se prépare à courir une heure autour du palais présidentiel, en plein centre de Santiago. « Je cours pour dire non au profit, oui à une éducation publique de qualité, gratuite, pour tous ! »
Jusqu’à fin août, ce marathon de « 1 800 heures pour l’éducation » entend peser sur la situation, comme les manifestations créatives orchestrées par les étudiants, telles les chorégraphies collectives sur « Thriller » de Michaël Jackson ou « Judas » de Lady Gaga. Depuis un mois et demi, les jeunes organisent les plus grandes manifestations jamais vues depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), avec plus de 500 000 personnes dans les rues du pays. Ces rassemblements pacifiques donnent lieu à des heurts avec la police, d’où la nécessité d’inventer d’autres formes de contestation. Le soutien de la population est vital pour le mouvement.
Un mouvement inhabituel de protestation dans une société encore traumatisée par la dictature, et qui a surpris le président de droite, Sebastián Piñera. Depuis un an au pouvoir, ce trader en Bourse, inscrit sur la liste Forbes des hommes les plus riches de la planète, bat des records d’impopularité avec 60 % de rejets. Il a remanié la semaine dernière son gouvernement et présenté un Grand Accord national pour l’éducation (le plan Gane) qui n’a pas convaincu.
« L’un des principaux problèmes du système éducatif chilien , explique l’économiste Marcel Claude, c’est qu’il approfondit les inégalités sociales de notre pays. Le Chili est un des pays les plus inégalitaires au monde, selon le Pnud. » Un système hérité d’Augusto Pinochet et de ses Chicago Boys, qui ont ouvert l’éducation au privé et réduit le budget de l’État pour l’éducation publique. Depuis, rien n’a changé. L’État consacre 4,4 % du PIB à l’éducation. L’Unesco recommande 7 %.
Du primaire au secondaire, le système fonctionne à deux vitesses. Si on est pauvre, on atterrit dans le public, de plus en plus mauvais. Dans le supérieur, c’est pire. Publiques ou privées, toutes les universités sont payantes : en moyenne 430 euros par mois, soit deux fois le salaire minimum. Et l’État ne couvre que 15 % du coût des études.
« À ce prix-là, je préfère aller étudier à l’étranger » , affirme Carola, 19 ans, qui veut suivre des études de théâtre. « Dans tous les pays d’Amérique latine, l’éducation est gratuite , précise-t-elle. Je n’ai pas l’intention de passer ma vie à payer mon prêt étudiant ! » Pendant que les étudiants s’endettent, les propriétaires des universités, eux, s’enrichissent. L’Université privée est devenue un négoce fructueux, sur lequel les autorités ferment les yeux.
Claire Martin