Chimères mondialistes
Selon l’économiste Christophe Ramaux, le plus important est de laisser les peuples choisir leur destin. Grâce notamment aux régulations publiques, qui ne peuvent être que nationales.
dans l’hebdo N° 1160 Acheter ce numéro
L’exploitation salariale comme ressort du capitalisme : tel est le cœur de l’analyse de Marx. Pour le reste, nulle trace chez lui d’une pensée des deux principaux leviers de l’émancipation : l’État social et la démocratie. À sa décharge, les deux n’étaient qu’embryonnaires au milieu du XIXe siècle. Partant, nulle trace non plus d’une pensée progressiste du cadre dans lequel ils se sont déployés : la nation. D’où son plaidoyer hallucinant en faveur du libre-échange en 1847. Son diagnostic est pourtant clair : « Le libre-échange ? C’est la liberté du capital. » Sa conclusion ? « Le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire […] que je vote en faveur du libre-échange. » On a lu chez lui dialectique plus fine…
La mondialisation est l’arme principale par laquelle s’est imposé le capitalisme néolibéral ces trente dernières années. Comme toujours, c’est la politique qui prime. Le peuple n’a pas et ne peut avoir de prise directe à l’échelle mondiale. Il n’y a pas de République mondiale (quel monstre bureaucratique serait-elle ?), or c’est la République qui institue des citoyens, si du moins on ne réduit pas la citoyenneté à des bons sentiments (celui infantile et prétentieux d’être un « citoyen du monde » par exemple). C’est dans le cadre national que s’exerce la démocratie et donc (même si cela n’est jamais simple) le pouvoir du peuple. Les peuples arabes l’ont compris. C’est le drapeau national de leur pays (et non le rouge ou le vert), qu’ils ont brandi contre les autocrates prétendant le représenter. Et cela pour imposer la plus élémentaire des exigences : la démocratie représentative avec des élections libres. L’histoire, en France comme ailleurs, en témoigne : les révolutions sociales sont quasiment toujours aussi une libération nationale.
La mondialisation du capital a été celle de la finance et des échanges. Selon une lecture marxiste étroite, seul le conflit capital-travail importe, et la financiarisation ne serait elle-même que la réalisation de l’essence du capitalisme. Nul lieu dans cette optique d’opposer donc logiques industrielle et financière. Les partisans de cette lecture s’accordent pourtant à dénoncer la libéralisation financière, mais rechignent à envisager des protections commerciales. Comment expliquer cet étonnant paradoxe ? L’explication est évidente : pour certains, le grand fantôme est la nation. À défaut d’en avoir une autre conception que celle que lui donne le Front national… ils la rejettent. Vive le mondialisme donc !
Keynes, dans un joli texte de 1933 (« L’autosuffisance nationale »), rompt avec le libre-échange. « L’important pour mon propos est ceci. Chacun d’entre nous aime agir à sa guise. » Bref, il faut laisser aux peuples la possibilité de choisir leur destin. C’est ainsi qu’il sera possible de progresser « vers la république sociale idéale » .
La démondialisation est salutaire. Des dirigeants d’Attac se sont imprudemment prononcés contre. Ils indiquent que le « retour à des régulations essentiellement nationales ne résoudrait aucun des problèmes » . Comme si ces régulations avaient déjà disparu ! Où comment conforter dans les esprits les rêves du capital. Les régulations publiques existent encore pourtant, et elles sont essentiellement nationales : protection sociale (le tiers du revenu des ménages en France), services publics (30 % des emplois), droit du travail (3 000 pages du code du travail), fiscalité, politique budgétaire, etc. Dans certains domaines, il y a bien lieu de déployer des politiques internationales, au niveau européen ou même mondial. Mais, pour avancer enfin, réfléchissons concrètement aux domaines en question. Où l’on saisira que, pour le progrès écologique et social, la plus grande part de l’intervention publique doit être nationale.