Crise du Samu social

Pour cause de coupes budgétaires, le Samu social de Paris est saturé. Ainsi que les hôpitaux qui servaient souvent de « dernier recours ». En ce moment, une quarantaine de personnes est à la rue chaque soir.

Ingrid Merckx  • 21 juillet 2011 abonné·es
Crise du Samu social
© Photo : AFP / Saget

Plus de place au 115. Le Samu social de Paris est totalement saturé. Il héberge 15 000 personnes par jour, dont 1 600 familles, pas une de plus. Actuellement, tous les nouveaux appelants raccrochent sans solution d’hébergement pour la nuit. Près de 40 personnes chaque soir, contraintes de se réfugier dans des squares de la capitale ou, en dernier recours, à l’hôpital.


Cela s’est toujours fait , mais jamais dans ces proportions : « Avant, c’était surtout des personnes isolées qui passaient la nuit dans la salle d’attente des urgences. Maintenant, ce sont des familles, des femmes enceintes avec des enfants en bas âge, explique Laurent Arthur, infirmier au Samu social de Paris (SSP). Parfois, le personnel leur propose un matelas, exceptionnellement un lit. L’accueil dépend énormément des équipes et des personnes… Entre les hôpitaux et le 115, il y a toujours eu une sorte d’accord tacite. Mais, aujourd’hui, ils ne peuvent assumer le nombre de sans-abri qui arrivent. Les urgences sont déjà engorgées et ce n’est pas leur vocation… »

« Une catastrophe humanitaire » « Un toit c’est la loi »* et « La rue tue » . Même en été. Quelques dizaines de personnes ont manifesté le 16 juillet à Paris contre les restrictions budgétaires qui frappent le 115. Dans la capitale, le Samu social est financé à 92 % par l’État. Dans les autres départements, le 115 est pris en charge par des associations. « La situation est partout inquiétante », témoigne Anne Morillon, nouvelle coordinatrice de la Fédération nationale des Samu sociaux. Dans le Val-de-Marne, où le 115 est géré par la Croix-Rouge, le nombre de nuitées passe de 750 à 250. « On met 500 personnes à la rue ! , s’indigne Patrice Pierre, membre du Comité action hébergement logement du département. Si une famille arrive dans une situation d’extrême urgence, il faut mettre deux familles dehors pour l’accueillir. Cela se fait avec des critères opaques et en complète illégalité puisque l’article 4 de la loi Dalo stipule : " Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y demeurer dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. " On est en pleine catastrophe humanitaire : j’ai vu arriver ce matin une mère avec trois enfants mineurs, ils avaient passé la nuit sur un parking… »

D’ici à la fin de l’été, il pourrait y avoir 15 000 personnes à la rue dans la capitale, selon la mairie, dont des femmes et des enfants. Babylone ?
À Paris, où le Samu social est un groupement d’intérêt public (GIP) financé à 92 % par l’État, le reste par la ville et le département, la règle a toujours été « accueil inconditionnel de toute personne en détresse sociale, psychologique ou médicale », et « zéro famille à la rue ». La situation est en train de changer. « On n’a plus de budget, s’indigne Maeva, écoutante sociale au SSP. On continue à héberger les familles déjà mises à l’abri, mais on ne peut en accueillir de nouvelles. La loi Dalo fait pourtant obligation à l’État de mettre tout le monde à l’abri. Normalement, personne ne peut non plus être mis dehors. Or, on commence à observer des ruptures de prise en charge… » Les coupes budgétaires se traduisent par une suppression de 5 000 places d’hébergement en Île-de-France, dont 3 600 à Paris, alors qu’il manquerait 13 000 places dans la Région.


Les salariés du SSP ont entamé un mouvement de protestation qui s’est notamment traduit par une grève du 6 au 10 juillet avec manifestation devant l’Hôtel de Ville le 9. Les associations de solidarité emmenées par le Collectif des associations unies remontent au créneau. Quatre élus d’Île-de-France, Claude Bartolone, Bertrand Delanoë, Christian Favier et Jean-Paul Huchon, ont lancé un manifeste pour une autre politique de l’hébergement et du logement dans cette Région.


Deux événements ont servi de détonateurs. La fermeture, le 30 juin, du centre Yves-Garrel dans le XIe arrondissement, le seul proposant un accueil réservé aux femmes. Le 23 juin, le conseil d’administration du SSP avait voté une politique de quotas portée par la préfecture sur instruction du ministère. La nouvelle règle au 115, c’est une personne entrant pour deux sortant.


C’est là que le bât blesse : avec la crise du logement, plus personne ne sort du 115. On ne quitte un refuge que si l’on a une autre solution : en centre d’hébergement d’urgence (CHRS) ou de stabilisation, en logement solidaire (Solibail ou « Louez solidaire ») ou social, ou en logement autonome…
Près de 60 % des personnes hébergées par le Samu social seraient en capacité d’accéder à un logement. « Mais même des familles françaises, avec un travail et un revenu ne trouvent pas à se loger. Il faut parfois attendre cinq à dix ans avant d’avoir accès à un logement social », précise Maeva. « Comment mieux articuler l’orientation des familles vers le logement et pouvoir accueillir des entrants qui sont dans une extrême urgence ? », interroge Stephania Parigi, directrice du SSP. C’est la question mise sur la table des négociations avec le ministère, en cours.

Pour les personnes désocialisées ou sans papiers, pas de sortie vers un logement en perspective. Le centre Yves-Garrel était fréquenté par 38 femmes qui, pour certaines, y trouvaient refuge depuis des années. Des familles sans papiers peuvent rester jusqu’à six ans, hébergées en hôtel, parfois à deux heures de trajet de l’école de leurs enfants.


« Le ministère met l’accent sur le tout-logement. Mais personne ne défend l’hébergement en hôtel ! C’est une solution transitoire inadaptée aux familles mais qui perdure faute de mieux , résume Maeva. Il faut créer des CHRS, développer le logement en Solibail, respecter les lois SRU et Molle sur le logement social et l’obligation d’accueil. Le budget du 115 est exponentiel, mais fermer la porte du jour au lendemain, c’est laisser des quantités de personnes à la rue. »

C’est voulu, glisse-t-on au cabinet du maire de Paris, Bertrand Delanoë : c’est une façon de couper les vivres aux familles sans papiers, dont une part, demandeuses d’asile, composent le 115 faute de places en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada, dont les budgets fondent aussi). « Ces budgets sont votés avant l’été parce que l’opinion est moins sensible qu’en hiver aux sans-abri, même si la mortalité dans la rue est la même. Mais tout le monde s’insurge, collectivités, associations, y compris Xavier Emmanuelli ! » Ce dernier a déclaré  : « Le gouvernement ne comprend pas l’urgence sociale, qui vise à maintenir les gens en vie. » Avant d’annoncer mercredi sa démission de la présidence du SSP.

Le Samu social est en danger mais tout le système est engorgé. « Le secrétaire d’État au logement, Benoist Apparu, doit faire marche arrière, reprend-on au cabinet du maire. En attendant, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris récupère des familles sur des brancards… » La ville héberge plus de 1 000 familles en hôtels sous le coup de la protection de l’enfance ; la majorité des demandeurs d’asile sont en Île-de-France, région la plus pauvre en Cada, et 50 % des personnes prises en charge par le SSP sont hébergées dans des hôtels en banlieue. Au bout de plusieurs mois, de qui dépendent-elles ? De Paris ou du secteur ? « Tout est fait pour organiser la surchauffe à Paris et en petite couronne pendant qu’on déconstruit la solidarité nationale. » La capitale n’est pas seule touchée. En Seine-Saint-Denis, le Samu social disposait de 1 850 nuitées. Elles vont passer à 900. Où iront les personnes refusées ?

Société
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