De 2002 à 2012 : la gauche selon Moscovici
L’ex-bras droit de DSK, rallié à François Hollande, écrit un livre programme qui revient sur les causes de la défaite de la gauche en 2002, afin qu’elle ne se reproduise pas.
dans l’hebdo N° 1160 Acheter ce numéro
Au rythme où court l’actualité, on ne sait plus. Pierre Moscovici est-il encore « strauss-kahnien » ? Il l’était. Peut-être l’est-il redevenu vendredi après avoir rallié François Hollande la veille. Dans cette tourmente, son dernier livre, Défaite interdite, constitue au moins un repère fixe. Il nous rappelle que cet énarque typique d’une certaine génération de dirigeants socialistes existe par lui-même, et qu’il a au moins le mérite de situer le débat à un certain niveau. On n’invoque pas ici des « erreurs de communication » ou je ne sais quel « déficit de pédagogie », tartes à la crème d’une certaine rhétorique politique quand il s’agit d’expliquer le divorce avec l’opinion. Pierre Moscovici va vraiment au cœur du débat social. Son « droit d’inventaire » de l’ère Mitterrand, notamment, est sans concessions : « Cette longue période de quatorze ans, écrit-il, n’a pas débouché sur une transformation progressiste profonde, et s’est achevée sur une déroute historique de la gauche » en 1993. On lui sait gré, surtout, de ne pas esquiver les causes de la défaite de la gauche en 2002. Il récuse l’argument d’un manque de charisme de Lionel Jospin. Mais il n’adhère pas non plus à l’alibi jospinien du lâchage de Jean-Pierre Chevènement, « candidat de division ». Les racines de la débâcle, nous dit-il, sont « plus profondes ». Il fustige à juste titre la « façon provocante » de Claude Allègre, qui voulait « dégraisser le mammouth » de l’Éducation nationale. Il déplore que la réforme fiscale se soit bornée « à une baisse des impôts » d’abord « sélective », puis « indistincte », et que le PS n’ait pas posé le problème de la relation à la mondialisation. Il fait surtout l’aveu d’une « campagne ratée », cédant notamment aux « illusions de l’hyperprésidentialisation ».
On trouve aussi un certain mérite à Moscovici quand, en tant que « Français d’origine juive », « agnostique » et n’ayant « jamais connu la pratique d’une foi », il ne se retient pas (c’est son expression) de critiquer le gouvernement israélien, de « condamner le traitement infligé aux Palestiniens » et de revendiquer pour eux le droit « à disposer d’un État ». Ce qui, malgré la tiédeur du propos, ou grâce à elle, le tient à bonne distance des aveuglements d’un DSK, par exemple. On peut même apprécier son rapport à laïcité. Une laïcité, dit-il, qui ne doit pas être stigmatisante.
Les choses se gâtent, à nos yeux, quand l’auteur ouvre le chapitre de l’Europe. Si le rendez-vous de la gauche avec l’Europe est « manqué », la faute à qui ? Les partisans du « non » au référendum de 2005 ont exprimé un « rejet », pas un « projet », déplore-t-il. Argument éculé. Le projet d’une gauche écologique et sociale existe. Encore faut-il avoir le pouvoir pour le mettre en œuvre, ce qui n’était pas le cas des partisans du « non ». On retombe sur l’alibi d’une Europe gage de paix. Comme si la guerre entre la France et l’Allemagne nous guettait. Comme si, surtout, les guerres à l’ordre du jour dans l’espace européen n’étaient pas civiles et sociales. Des guerres provoquées par une Europe plus financière que sociale. À l’image de ce qui se passe en Grèce. La « gauche », au moins une certaine « gauche », présente ailleurs dans le livre de Moscovici, ici se volatilise. Avec l’Europe qu’il évoque, personnalités de droite et de gauche se confondent, le simple souci de la différenciation sociale s’éclipse. La définition d’un espace européen, une même galère commune au riche et au pauvre, au spéculateur et au chômeur, submerge toute autre considération. Nous sommes bien ici dans ce substitut idéologique qui est à l’origine de la dérive des socialistes « européens ». Ce n’est pas parce que José Manuel Barroso est « faible », comme l’écrit Moscovici, que l’Europe va mal. C’est parce que Barroso, et tout ce qu’il incarne, est un politicien libéral. Pourquoi faut-il donc que le social disparaisse du vocabulaire de nos socialistes chaque fois qu’il est question d’Europe ? Et comment construire un projet authentiquement de gauche sur un tel socle idéologique ?