Défense de soigner moins cher

Santé Une loi modifiant la réforme du système de santé met en cause les réseaux de soins des organismes complémentaires. À l’approche des élections sénatoriales, des intérêts privés ont dominé les débats.

Thierry Brun  • 14 juillet 2011 abonné·es

Qui veut la peau des réseaux de santé ? Entre 3 et 8 millions de personnes qui ont une complémentaire santé fréquentent ces réseaux dans lesquels les professionnels ont signé une convention avec une mutuelle ou une assurance santé. Ces professionnels, dont les prestations de certains (opticiens, dentistes, audioprothésistes, etc.) sont peu ou pas remboursées par la Sécurité sociale, s’engagent à plafonner leurs tarifs et à respecter un cahier des charges.


« Nos réseaux maîtrisent notamment les tarifs des opticiens, car, s’ils sont trop élevés, cela provoque une augmentation du coût des complémentaires et un reste-à-charge pour les ménages de plus en plus important »,* explique Jean-Martin Cohen Solal, directeur général de la Fédération nationale de la Mutualité française. « Il s’agit d’aller dans le sens de l’intérêt général, qui réclame que l’on optimise le fonctionnement de notre système de santé », ajoute Christian Saout, président du Collectif inter­associatif sur la santé (Ciss). Surtout, ces réseaux permettent l’accès de nombreuses personnes aux revenus modestes à des soins de qualité.


Les lobbies médicaux ** ne partagent pas cette vision et ont mené une offensive auprès des députés et des sénateurs pour les convaincre de réformer le conventionnement des réseaux de santé, à travers certains amendements d’une proposition de loi du sénateur UMP Jean-Pierre Fourcade.

En tête, l’opticien Alain Afflelou , qui estime avoir gagné une bataille après l’adoption, le 7 juillet, de la proposition de loi « complétant » la loi Bachelot de 2009 sur la réforme du système de santé (HPST). Plus discret, Essilor, leader mondial des verres correcteurs, a aussi pesé sur le texte.
Des professionnels de santé avaient également pris l’initiative d’une pétition contre une « entrave à la concurrence et une atteinte aux libertés pour les patients » pour asseoir leur influence dans les débats parlementaires. Le Centre national des professions libérales de santé (CNPS) a défendu un amendement et obtenu gain de cause…


Concrètement, l’article 22 bis de la proposition de loi dite Fourcade vise à restreindre « considérablement la liberté contractuelle de l’ensemble des organismes d’assurance-­maladie complémentaire », s’inquiète la Mutualité française, qui déplore « que des intérêts commerciaux soient ainsi privilégiés au détriment de l’accès aux soins ». Santéclair, important réseau de santé de compagnies d’assurance, de mutuelles et d’instituts de prévoyance, est aussi monté au créneau, soulignant que « l’avenir des réseaux de soins est sérieusement remis en question ».

Les sénateurs ** ont été particulièrement offensifs contre les réseaux de santé mutualistes, auxquels adhèrent 6 Français sur 10, soit près de 38 millions de personnes. Ils ont rejeté un article 22 lors de la deuxième lecture de la proposition Fourcade, qui devait légaliser dans le code de la mutualité le droit des mutuelles de rembourser différemment les prestations selon l’appartenance ou non au réseau mutualiste du praticien choisi par leurs adhérents. Une pratique interdite en 2010 par la Cour de cassation au motif qu’elle n’est pas prévue par le code de la mutualité, alors qu’elle l’est dans le code des assurances…


Cet article a été rétabli in extremis à l’Assemblée le 7 juillet. En revanche, les députés ** ont adopté un ­amendement du CNPS dans ­l’article 22 bis, qui remet en ­question le principe du conventionnement individuel des professionnels de santé dans les réseaux de santé. Jean-Martin Cohen Solal dénonce le lobbying qui a pesé sur l’adoption du texte : « Les parlementaires me l’ont dit, c’est avant tout la pression des opticiens et des verriers. Ils ne veulent pas que les complémentaires santé conventionnent les tarifs des lunettes. Ce lobbying est basé sur les profits et la peur de diminuer les marges. J’ai du mal à comprendre l’intérêt général et que les élus écoutent plutôt M. Afflelou que les plaintes des classes moyennes qui trouvent que la santé coûte de plus en plus cher. »


Alain Afflelou, qui déclare s’être « battu pour qu’il n’y ait plus de discriminations entre les opticiens », se frotte les mains. L’article 22 bis devrait franchir le cap de la commission mixte paritaire (CMP), qui doit concilier le Sénat et l’Assemblée nationale sur un texte commun, en principe le 13 juillet. Car il y a peu de chances que le Sénat entende les critiques des réseaux de santé. Alors que les élections sénatoriales approchent, les sénateurs ont tout intérêt à satisfaire les professionnels de santé, dont beaucoup sont de grands électeurs. Peu importe que « les lunettes soient vendues deux fois plus cher en France qu’en Allemagne en raison de niveaux de prise en charge anormalement élevés », accuse Mathias Matallah, président du cabinet de conseil en protection sociale Jalma.

Les opticiens et les autres professionnels de santé devraient donc acquérir une plus grande liberté pour imposer leurs tarifs. Les complémentaires santé risquent de « ne plus pouvoir pratiquer de conventionnement individuel », ce qui obligerait à passer à des négociations « imposées par les représentations syndicales », craint Santéclair, qui estime que de telles négociations « n’ont jamais profité aux usagers tant les instances syndicales sont arc-boutées sur leurs intérêts corporatistes ». Des intérêts qui coûteront cher aux assurés.

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