Dominique Blanc : « Être comédienne avec un engagement entier »
Dominique Blanc apparaît au théâtre, au cinéma et à la télévision sans jamais renoncer à son exigence. Une actrice magnifique, à qui les Ciné-rencontres de Prades consacrent une rétrospective.
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Les Ciné-rencontres de Prades (Pyrénées-Orientales) ont cette année pour invitée une actrice exceptionnelle : Dominique Blanc. À travers une rétrospective confectionnée par ses soins, c’est l’occasion pour elle de s’arrêter sur son parcours en compagnie d’un public pradéen toujours chaleureux et attentif. Aussi marquante au cinéma — dans Capitaine Achab, de Philippe Ramos ou l’Autre, de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, pour ne citer que quelques films récents –, à la télévision ou au théâtre — qui l’a vue dans Phèdre, mis en scène par Patrice Chéreau, ne peut oublier la force de son interprétation –, Dominique Blanc a réussi à conquérir une précieuse liberté. Quand nous l’avons rencontrée, elle était de passage à Paris entre deux tournages, l’un à la Réunion, l’autre en Inde, où elle interprète Alexandra David-Néel. Mais c’est à propos de la Douleur, qu’elle joue depuis 2008, un spectacle tiré du texte de Marguerite Duras et mis en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, que notre entretien a commencé.
Politis : Selon vous, la langue de Duras est plus difficile à mémoriser que celle de Racine. Comment expliquez-vous cela ?
Dominique Blanc : Chez Racine, il y a à la fois une grande intelligence de la langue et un sens extrêmement clair. Le travail du comédien consiste à mettre en lumière ce texte qui paraît compliqué mais qui en fait est d’une grande limpidité. La Douleur, de Marguerite Duras, qui au départ est un récit, mais qui contient une dimension extrêmement théâtrale et s’avère être un grand texte tragique, paraît facile à mémoriser, parce que l’écriture est assez quotidienne. En réalité, c’est très sophistiqué, l’architecture est très précise. Les silences sont presque écrits. Vous croyez posséder ce texte, mais il peut vous échapper très vite. Il est sauvage. Il faut un gros travail de mémorisation et remémorisation. La Douleur est un immense texte sur l’attente, sur la barbarie, c’est un texte universel. Mon idée, c’était de voyager avec la Douleur : on l’a joué beaucoup en Europe, mais aussi au Japon, au Vietnam, au Brésil…
Si vous étiez une jeune comédienne aujourd’hui, connaîtriez-vous les mêmes débuts ?
Non, je ne crois pas. La société s’est singulièrement durcie. Les milieux du cinéma, du théâtre et de la télévision sont des univers de plus en plus difficiles à pénétrer. En tournée, je rencontre beaucoup de jeunes comédiens et de jeunes comédiennes. La situation s’est radicalisée. Ce n’était pas facile à mon époque, mais j’ai eu cette chance de rencontrer très tôt certains individus qui ont beaucoup compté.
Concrètement ?
L’univers de la culture, là aussi à l’image de la société, est assez machiste. J’ai joué 150 fois en province, seuls dix théâtres sont dirigés par des femmes. Si vous voulez vous proposer à des castings, passer des auditions au théâtre, faire de petites silhouettes à la télé, comment y parvenir quand vous ne connaissez personne ? C’est de plus en plus difficile car chaque univers s’est replié sur lui-même.
Vous dites avoir beaucoup appris en regardant. C’est-à-dire ?
Ma chance magistrale, c’est d’avoir été engagée en 1981 sur Peer Gynt, mis en scène par Patrice Chéreau, qui durait 8 heures, avec les vingt meilleurs comédiens et comédiennes du ce moment, Gérard Desarthe, Maria Casarès… La plus belle école qui soit. C’est l’école de la transmission en direct, du regard et de l’écoute. Il y avait un tel engagement dans le travail de répétition, une telle ferveur, une telle envie ! Et une communication avec le metteur en scène si profonde que cela a été pour moi la meilleure façon d’apprendre.
Maria Casarès, à l’époque, devait avoir 70 ans. Elle avait une scène où elle jouait une agonie. Elle arrivait à 14 heures sur le plateau, en costume de répétition, le texte su, et à 14 h 15, elle était en larmes, en plein don de soi. Elle offrait une telle exigence de travail qu’on ne pouvait être que bouleversé par cela. C’est de cette manière que j’ai voulu faire ce métier : avec un engagement entier, pas à l’économie.
Qu’est-ce que vous avez appris avec les metteurs en scène ?
L’importance de la confiance réciproque. Quand je sens que la personne a une sensibilité qui me correspond, l’abandon peut être total. J’ai été choisie pour construire un certain personnage, le metteur en scène va me guider, et en même temps je vais suivre certaines de mes intuitions. Cette démarche à deux, pleinement artistique, me plaît énormément. Elle exige une confiance réciproque. Je l’ai eu avec Pierre Romans [son professeur au cours Florent, NDLR], parce que j’ai eu le sentiment que cet homme me regardait comme quelqu’un d’unique, à même de jouer Tchekhov. Tout était possible. Idem avec Patrice Chéreau.
Comment est arrivé le cinéma dans votre parcours ?
Par hasard. Je jouais Terre étrangère, avec Michel Piccoli et Bulle Ogier, mis en scène par Luc Bondy. Beaucoup de gens de cinéma sont venus aux Amandiers, à Nanterre, voir le spectacle. Je n’avais pas spécialement envie de faire du cinéma. J’ai eu plusieurs rendez-vous et c’est ainsi que Régis Wargnier m’a engagée pour la Femme de ma vie. J’ai été très heureuse d’interpréter cette jeune femme alcoolique. Mais ensuite, pendant des mois, on m’a proposé des rôles d’alcoolique.
Au cinéma, on colle rapidement des étiquettes…
Pour ne pas refaire indéfiniment les mêmes rôles, il faut une vigilance de tous les instants et savoir dire non. J’ai la chance d’exister au cinéma, au théâtre et à la télévision. Ma liberté s’est inventée comme cela. Quand je sens que des choses se sclérosent, je m’échappe en allant ailleurs.
Vous êtes ainsi reconnue comme une tragédienne jouant des textes élaborés et comme une personnalité « vue à la télé »…
C’est l’Allée du roi, quatre heures de fiction télévisuelle de Nina Companeez, qui m’a fait connaître du public. Quatre heures de fiction où j’incarnais un personnage de 15 à 80 ans : Madame de Maintenon. Ce qui permet de faire ensuite la Voleuse de Saint-Lubin, de Claire Devers, pour Arte, l’histoire d’une femme qui vole de la viande pour sa famille.
Ce qui manque, ce sont les comédies. Pourtant on sent en vous un réel potentiel comique…
J’ai joué dans C’est le bouquet !, de Jeanne Labrune, qui n’a hélas pas eu beaucoup de succès. Mais c’est vrai qu’on ne m’offre pas volontiers de rôles de comédie. C’est dommage.
Dans les années 1990, vous avez tourné avec des cinéastes — Edwin Baily pour Faut-il aimer Mathilde ?, Roch Stephanik pour Stand-by… — qui ont ensuite arrêté. Du coup, ces films-là sont très peu connus…
Oui. Il y a eu aussi une malchance du point de vue de la distribution. J’ai tourné dans plusieurs films qui ont été tellement mal distribués qu’on peut dire qu’ils n’ont jamais été vus. Stand-by est sorti un 31 juillet dans 5 salles en face de Tom Cruise. Le film s’est un peu implanté au mois d’août parce que le directeur d’UGC-les Halles m’a demandé de faire des débats avec le réalisateur. Puis la profession a vu le film, et, miracle, j’ai obtenu le César de la meilleure actrice pour le rôle que j’y tenais !
Dans les années 2000, de nouveaux cinéastes vous ont donné des rôles importants : comme celui d’Agnès dans la trilogie de Lucas Belvaux…
Oui, le projet était hors du commun, c’était un pari très audacieux. Et Agnès est un personnage extraordinaire : ce petit prof d’anglais anodin qui apparaît dans le deuxième film de la trilogie, Cavale, on est loin d’imaginer ce qui se cache derrière et qui sera au cœur du troisième film, Après la vie. Incarner cette femme, c’était très festif.
Vous avez dit que des cinéastes tels que Régis Wargnier ou Lucas Belvaux ont aimé vous filmer. Pas les autres ?
Au début j’ai entendu tellement de commentaires sur mon visage ! On disait que je n’avais pas un visage à la mode, ou qu’il n’était pas comme ceci ou comme cela…
Sur un tournage, je sais assez vite si le chef opérateur va éclairer mon visage dans son originalité, ou s’il va essayer, en vain bien sûr, de me faire ressembler à Claudia Schiffer ! Dans la Femme de ma vie, Régis Wargnier m’a « détruite », ce qui était la vérité de ce personnage alcoolique. Mais lui me disait : « Il faudra que je t’offre aussi un rôle de jolie. » Il a fait ensuite Je suis le seigneur du château, où effectivement je suis belle. Quant à Lucas Belvaux, j’ai senti immédiatement qu’avec son chef opérateur, Pierre Milon, il aimait mon visage. C’était pour moi très agréable car lorsqu’il y a de la confiance, comme je le disais tout à l’heure, je me sens à la fois invincible et inventive.
Vous est-il arrivé de vous sentir trahie ?
J’ai joué dans Une affaire de femmes de Claude Chabrol. Le chef opérateur, Jean Rabier, une fois le film terminé, m’a prévenue : « Quand vous verrez le film, ne soyez pas étonnée. » J’ai éclaté en sanglots en sortant. Je me suis dit que je ne ferais plus jamais de cinéma. Ils avaient dû utiliser un objectif déformant, j’avais été amochée pour le rôle, et on ne m’en avait pas prévenue. Je débutais, personne ne me connaissait, ils ont fait ce qu’ils voulaient.
Comment avez-vous choisi les films de votre filmographie qui seront montrés aux Ciné-rencontres de Prades?
Au début, l’idée d’une rétrospective m’angoissait. Mais à partir du moment où Jeanne Labellie, des Ciné-rencontres, m’a dit que je pourrais sélectionner moi-même les films, de cinéma ou de télévision, donc je pourrais montrer Phèdre, par exemple [capté par Stéphane Metge, NDLR], cela m’a permis d’effectuer une sorte d’analyse critique sur mon parcours. J’ai d’abord choisi les films qui n’avaient pas eu leur chance. Ce sont des films « tout neufs ». Puis les courts-métrages. Parmi les films de télévision, j’ai choisi l’Allée du roi et des films faits pour Arte.
Quant à l’effet que cela va me faire, je n’en sais rien du tout. Je ne céderai pas à la nostalgie parce que je n’aime pas cela. En revanche, je me réjouis de pouvoir discuter de chaque film après la projection et de rencontrer les spectateurs. Exactement comme au théâtre !