Au lendemain de l’adoption, le 21 juillet, du plan dit « de sauvetage de la Grèce », c’est avec ferveur que nous avons été invités à partager le soulagement de la finance internationale. « Les marchés rassurés ! » titraient en chœur la plupart de nos confrères. Les mêmes n’avaient ni un mot ni un regard pour les peuples, et surtout pas pour les Grecs. Comme si les dévots de ce nouveau monothéisme n’imaginaient pas un instant que l’on puisse avoir une autre religion. C’est aux marchés qu’il faut sacrifier. C’est leur colère que nous redoutons. C’est leur plaisir qui nous enchante. Les marchés sont contents, et les partisans de cette Europe désincarnée aussi. Car, un bonheur n’arrivant jamais seul, l’Europe, nous disait-on, a progressé dans l’épreuve. L’aide de 158 milliards apportée à la Grèce serait la première manifestation d’un fédéralisme économique et budgétaire. Hélas, comme souvent, les mots sont pipés. Le fédéralisme, nous n’en sommes pas ennemis. Mais un fédéralisme d’abord politique qui dessinerait les contours d’un nouvel espace démocratique. Or, ce qui s’est passé à Bruxelles n’a rien à voir avec la démocratie.
Politique fiction
Comme chaque année, nous interrompons notre parution pendant le mois d’août. Et comme chaque année, nous vous offrons pour cette période une pagination renforcée. Pour vous distraire, nous nous sommes risqués cette fois à un exercice nouveau pour nous :
la fiction politique. Allégrement, nous avons mêlé l’improbable et le possible, l’utopie et la réalité. Nous vous souhaitons de prendre plaisir à lire cette histoire comme nous avons aimé l’écrire. Nous espérons que le plaisir sera partagé par les principaux héros bien réels de cette aventure.
Bonne lecture et bonnes vacances à tous.
Prochaine parution de Politis, le 1er septembre.
Un plan concocté entre M. Sarkozy, Mme Merkel et le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, trois guerriers du libéralisme économique, militants zélés de ce qu’on appelle pudiquement des « réformes structurelles », c’est-à-dire de la vente à l’encan des biens et des services publics, d’une fiscalité au service des riches et d’une politique d’austérité imposée aux peuples. L’aide consentie par les États de la zone euro, et demandée – sur la base du volontariat – aux banques privées, n’a pas d’autre sens politique que celui de la perpétuation du système qui, précisément, a produit la crise de la dette publique. Les sommes dont il est question n’allégeront donc en rien le fardeau imposé au peuple grec. Les baisses de salaires, les suppressions de primes, l’augmentation du temps de travail et les privatisations à tout va, rien de tout cela n’est remis en cause. Au lendemain de la réunion de Bruxelles, il n’en est jamais question. L’heure est à la joie. La joie simple des marchés. Pour associer la BCE au plan de « sauvetage », et pour convaincre le secteur privé d’y contribuer, Nicolas Sarkozy a dû insister sur la
« spécificité » de cette opération qui, a-t-il dit, ne sera consentie à aucun autre pays. Que l’on ne s’y trompe pas : ce serment est aussi un message politique. La saignée imposée au peuple grec, les autres peuples de la zone euro doivent l’anticiper. Avant même d’avoir atteint des seuils d’endettement qui provoquent la colère des marchés, ils doivent accepter de travailler plus, plus longtemps, et de gagner moins ; ils doivent renoncer aux aides sociales, à une partie de la vie associative, et, bientôt, respecter la fameuse « règle d’or » pour laquelle la droite française fait campagne, et qui vise à inscrire dans la Constitution l’obligation pour tout gouvernement de revenir à l’équilibre budgétaire (on notera au passage que l’expression « règle d’or » est empruntée au vocabulaire religieux…)
On le voit bien : la question de la dette sera l’un des thèmes majeurs imposés par la droite pour la prochaine présidentielle. Elle est bien utile, parce qu’on a réussi à l’objectiver, comme une donnée météorologique. Comme étrangère à tout choix politique. Le gonflement de la dette va pourtant de pair avec la mise en œuvre des options libérales apparues dans les années 1980. Il s’explique en grande partie par des baisses ou des exonérations d’impôts pour les plus riches.
Or, la politique dite « européenne » d’aujourd’hui vise à résorber la dette sur le dos des peuples. Elle n’est donc en réalité que l’un des instruments d’une redistribution des richesses au profit du capital le plus improductif. Et l’humain dans tout ça ? Et le peuple grec ? Et notre peuple ? Voilà la question que, pour notre part, nous ne nous lasserons pas de poser devant l’imposture des mots. Combien de titres de presse sommes-nous à la poser encore au lendemain du plan « Sarkozy-Merkel » ? Et combien serons-nous à la poser tout au long de l’année politique décisive qui s’annonce ?