Et viva Eva !
dans l’hebdo N° 1161 Acheter ce numéro
Ce sera donc Eva Joly ! On s’en doutait un peu depuis que l’ex-magistrate avait manqué pour une poignée de voix la victoire au premier tour des primaires organisées par Europe Écologie-Les Verts (EELV). Mais, tout de même, quelle surprise ! Certes, mardi soir, lorsque le résultat sera officiellement proclamé (nous n’y sommes pas encore tout à fait), notre étonnement sera retombé. Mais, quinze jours plus tôt, on n’aurait pas parié lourd sur les chances de Mme Joly — de son nom norvégien Gro Eva Farseth — de succéder à l’ancêtre René Dumont, premier candidat du mouvement écologiste, en 1974. À tout prendre, la surprise est heureuse. Pour notre part, nous aurions préféré un candidat du sérail. Le mouvement ne manque pas de personnalités capables d’incarner l’écologie dans toute sa complexité. À commencer par sa secrétaire générale, Cécile Duflot, ou un « historique » comme Yves Cochet, pour ne pas parler de ceux qui ont déjà donné, comme Voynet ou Mamère. Car de quoi s’agit-il ? Sûrement pas de conquérir l’Élysée. Il s’agit, durant plusieurs mois, de courir les tribunes pour mobiliser les consciences, non exclusivement sur les problèmes d’environnement, ni seulement sur les questions sociales, mais au croisement de ces deux courants de pensée. Car l’écologie politique est pluridisciplinaire et complexe, et trop souvent caricaturée par ses adversaires, ou parfois par ses fondamentalistes.
Réfléchir sur nos modes de vie, nos processus de production, nos agissements sociaux, nos habitudes consuméristes, et en tirer les conclusions nécessaires pour agir sur nos comportements, et cela à l’échelle d’une société humaine qui ne peut pas avoir de frontières, on peut difficilement imaginer une ambition politique plus vaste. Nous n’avons jamais compris comment on pouvait se réclamer de l’écologie et ne pas exprimer une critique radicale d’un mode de production capitaliste qui pollue, surproduit, gaspille, détruit, incite les uns à la surconsommation tandis qu’il affame les autres. Refuser cette critique systémique, c’est prétendre agir sur les effets sans se soucier des causes. C’est en cela que l’écologie ne peut être que de gauche. C’est en cela aussi que ses partisans devraient enfin ouvrir un vrai débat sur l’Europe libérale. Ce qui ne signifie évidemment pas que la gauche est naturellement écologiste. Mais il y a sûrement beaucoup plus d’écologie dans le programme du Front de gauche tel qu’il est aujourd’hui que dans certains courants environnementalistes qui se réclament de l’apolitisme. Ce qui nous ramène à nos primaires. Quelle que soit la sincérité du personnage, qu’on ne se permettra pas de mettre en cause, Nicolas Hulot symbolise à cet égard toutes les incohérences. Nous avons tous nos contradictions. À l’aune d’une certaine génération, il n’y a guère d’écologistes de la première heure. Nous avons presque tous été productivistes. Les émules d’André Gorz sont rares. Mais, pour le dire sans acrimonie, il aurait fallu à Nicolas Hulot un délai de bienséance entre sa rupture avec ses sponsors et sa prétention à incarner l’écologie telle qu’elle se définit selon nous. Sans parler de ses errements sarkozystes, voire borlooistes…
À dire vrai, Eva Joly est à peine mieux référencée. Mais au moins on n’aperçoit pas dans sa trajectoire de références négatives. Ses croisades contre la corruption financière la rapprochent tout de même plus du sujet que le survol du Machu Picchu en ULM pour TF 1. Quant à l’argument selon lequel la popularité de Hulot permettrait de faire un score à deux chiffres, il nous semble pour le coup très électoraliste. Sans doute l’animateur a-t-il la langue (française) mieux pendue (au passage, soulignons qu’une candidate binationale n’est pas superflue dans le climat actuel), mais l’éloquence peut aussi nous égarer si elle n’est pas profondément et naturellement au service du social autant que de l’environnement. Les mauvais oracles — Daniel Cohn-Bendit, pour ne pas le nommer — n’ont pas attendu le résultat définitif de la primaire pour inviter Eva Joly à « recentrer » son discours. Il lui faudrait, paraît-il, gagner les « écologistes de droite ». Toujours les effets sans les causes. Les conséquences du système, sans le système lui-même. Comme s’il ne s’agissait que de faire l’appoint des voix socialistes.
Nous pensons tout le contraire. Dans une élection présidentielle antinomique avec les principes collectifs de l’écologie politique, ne s’agit-il pas surtout de se faire entendre, et d’avoir pour cela un discours clair, plutôt que de partir à la chasse aux voix ? Et puis la candidate peut aussi faire valoir un autre atout. Ce qu’EELV propose de mieux aux jeunes en quête de repolitisation : des formes nouvelles d’organisation, adaptées à l’époque des réseaux sociaux, et compatibles avec une vie qui ne serait plus dévorée par les réunions le soir, et les collages d’affiches au petit matin ; ou qui serait conciliable avec d’autres engagements. L’idée de cette articulation entre « adhérents » et « coopérateurs » est excellente. Elle est hélas de Cohn-Bendit. Encore lui ! Bien à l’image des contradictions de son mouvement. Pointant du doigt les enjeux les plus lourds de l’histoire de l’humanité, et cédant en même temps à la pire inconséquence.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.