Harry Potter se la joue solo

Le dernier Harry Potter sort sur les écrans demain 13 juillet. Cet ultime épisode aux plans enchaînés en accéléré laisse beaucoup de regrets. Et agace par sa propension à contourner le fonds de soutien au cinéma.

Ingrid Merckx  • 12 juillet 2011
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Harry Potter se la joue solo
© Photos : DR

Lâcheur ? Un des intérêts de « Harry Potter », le film (les films…), c’est de contribuer avec son énooorme audience, à alimenter le fonds de soutien au cinéma. Or, voici que la dernière avant-première de la saga se tient ce mardi 12 juillet au Palais omnisport de Paris Bercy – 10 000 spectateurs attendus ! -, avant une sortie nationale mercredi 13, et non pas dans un circuit classique de salles de cinéma. Bercy n’étant pas assujetti à la TSA (taxe spéciale additionnelle, prélevée sur chaque billet), ce sont près de 21 000 euros qu’Harry Potter fait ainsi passer, sans magie aucune, sous le nez du Centre national du cinéma (CNC), ont calculé la SRF (Société des réalisateurs de films) et l’Acid (Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion).

« Après le « hors-films » dans les salles, les films dans le « hors-salle » ? » , s’indigne l’ARP (Société civile des Auteurs, réalisateur et producteurs), qui en rajoute une louche : « Cette séance, proposée en 3D et à un tarif très élevé (minimum 25 € la place), va priver d’un grand nombre d’entrées, en une seule fois, le marché de l’exploitation cinématographique parisien. » Elle fait référence à deux phénomènes conjoints : celui qui pousse les exploitants à projeter autre chose que du cinéma (du foot par exemple…) cependant que les non-exploitants se mettent à projeter du cinéma sans participer à l’effort collectif. «  Harry Potter se place comme Johnny Hallyday : il remplit les stades mais fait de l’évasion fiscale » , a protesté Florence Gastaud, déléguée générale de l’ARP, sur Europe1.fr.

C’est la Warner qui décide. Harry Potter, bien sûr, n’y est pour rien. Il se serait enorgueilli de rectifier le tir, mais il a déjà fort à faire dans Les Reliques de la mort , partie 2. Episode-épilogue où le jeune sorcier bientôt majeur marche en grande partie seul vers son terrible destin. C’est seul qu’il découvre les pensées de Rogue, l’emplacement du dernier Horcruxe et le grand secret de l’assassin de Dumbledore. C’est seul qu’il se rend dans la forêt interdite où Voldemort lui a donné rendez-vous avec sa cour (sous peine de tuer tous ceux qui sont prêts à se sacrifier pour lui). Ils seront en tête à tête pour l’affrontement final, sans autres témoins que les spectateurs…

Illustration - Harry Potter se la joue solo

« Des gens meurent tous les jours… Ce n’est pas tant Harry qui importe mais ce pourquoi il se battait… » , lance Neville à Voldemort devant le corps de son ami. Les Reliques de la mort , c’est aussi l’épisode où Harry embrasse sa légende et s’en sépare. Elle le dépasse, lui survivra. Lui, il se retrouve, comme tout mortel, bien seul à l’instant fatal. « Ca fait mal ? » , demande-t-il au fantôme de son parrain qui lui apparaît grâce à la pierre philosophale. Avec cette expérience ultime, JK Rowling (l’auteur du livre) fait encore grimper d’un cran la tension morbide mais initiatique qui traverse son oeuvre : hanté depuis son premier anniversaire par les cris d’agonie de sa mère, Harry arrive au bout de sa mission qui consiste, finalement, à tuer la (le) mort qui est en lui.

D’où cette tonalité crépusculaire, à l’image de ce plané de Détraqueurs (stupéfiant en 3D, pour le coup !) convergeant comme des milliers de méduses macabres vers l’école, lieu de tous les pouvoirs et toutes les résistances… C’est à Poudlard que se battent ces enfants en guerre. C’est là qu’ils font l’expérience de la douleur et de la perte mais aussi de la participation et de l’engagement. Fin de l’enfance et fin de la saga. Avec une mélancolie anticipée dont on ne sait si elle tient à l’histoire (ce à travers quoi il a fallu passer…) ou au hors champ complet (Harry, c’est fini…).

Aucun des huit films (deux parties pour le septième tome) n’a réussi à se montrer complètement digne des livres. Les comédiens ont progressé (Daniel Radcliffe, qui interprète Harry Potter manque tout de même de charisme), les décors sont somptueux. Mais pas le temps d’en profiter : il a fallu tout faire tenir en deux heures. C’est le défi que David Yates s’est fixé, surfant sur les chapitres clés : le cambriolage chez Gringotts, le retour à Pré-au-lard puis à Poudlard, la préparation au combat, le feu, le fantôme, le serpent, la mort de Rogue… Tout s’enchaîne à grande vitesse quand les fans (et le film est pensé pour eux) savent absolument tout de ce qui va se passer. L’autre intérêt de « Harry Potter », le film, c’était de pouvoir re-goûter un peu à une histoire déjà lue dans les livres, et donc de voir se superposer images de cinéma et images mentales…

Illustration - Harry Potter se la joue solo

Pourquoi précipiter ? Tout le plaisir consistait à prendre le temps de les voir s’incarner, de contempler leur univers, ou leur art de manier la baguette (ah, ce petit geste paume en l’air de Voldemort…), et de s’y croire un peu (dans cette école fabuleuse, à dos de dragon, dans la pensine etc.). Monté en accéléré et en apnée, le film se prive de toute possibilité de faire exister quoi que ce soit : peur, réflexion, humour… Sauf des regrets. En 2h10, c’est plié. Reste les livres (ouf…).

Culture
Temps de lecture : 5 minutes
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