Le désir selon Skolimowski

Monsieur Hulot Junior. La scène où Mike commande des hot-dogs à un vendeur ambulant – quatre à quelques minutes d’intervalle avec péripéties intercalées ! – pourrait faire figure de révérence à Jacques Tati, passée à la moulinette d’un London seventies, hivernal et adolescent… Le petit toit du stand est tellement bas que Mike et le vendeur, un Asiatique comme on n’en trouve que chez Tintin, doivent se baisser pour se regarder. Sauf que Jerzy Skolimowski ne les fait pas pencher la tête mais plier les genoux, en décalé. Ce qui donne à cet étrange manège monté sur ressorts un air désopilant. Cependant qu’autour, dans le Soho des discothèques et des sex-shops, le peuple de la nuit s’agite, cherchant le voleur d’un mannequin de carton mythique que le jeune homme vient de dissimuler dans un hall d’immeuble.

Ces hot-dogs lui servent de prétexte pour faire le guet devant l’établissement très select où son icône, Susan, vient d’entrer. Elle est sa collègue aux bains publics, et sa première passion. Avec sa chevelure rousse qui se découpe sur les murs verts de l’établissement ou un extérieur de neige, son imperméable jaune électrique et son attitude hautaine de femme plus âgée, Susan (Jane Asher, petite amie d’un certain Paul McCartney) est l’image même de l’insaisissable pour un garçon de quinze ans. Le mannequin qu’il a volé lui ressemble. Comme Mike (John Moulder-Brown) ne peut l’atteindre, il se jette nu avec son double de carton dans la piscine, la nuit. Scène (filmée sous l’eau) ô combien fantasmatique…

Ces bains où Mike a trouvé un job sont à l’image du film : romantiques et burlesques. Mais également dépaysants tant le vernis seventies, avec ses couleurs (rouge, vert, orange), son graphisme (géométrique) et ses tendances (éducation sexuelle), évoque une pochette d’album de pop anglaise. Cat Stevens signe la musique, mais aussi Can, groupe de rock allemand expérimental.

Skolimowski a une manière assez Nouvelle Vague de mettre en scène l’exaltation : en tirant l’alarme dans une piscine, en fonçant dans des rues à vélo, en courant en short sous la neige ou dans une piscine vidée… Succession de longs plans dans un quartier populaire et de courts-circuits artistiques et émotionnels, entre frénésie et rêverie morose, Deep End (1970) n’abandonne jamais sa tentation loufoque. Susan jette Mike habillé dans l’eau, ou dans les gros seins d’une cliente qui lui parle football en lui pressant les joues, elle le recouvre de l’affiche d’un homme enceint, écrase son vélo en voiture… Objet de désirs, Mike poursuit l’objet de son désir. Il est jeune, benêt, amoureux. Un peu éberlué, un peu ivre. Un peu clown et un peu rock.