Le PAF sens dessus dessous
dans l’hebdo N° 1163-1165 Acheter ce numéro
L’image était passée en boucle dans les bêtisiers. Une scène visionnée aussi par 27 millions d’internautes à ce jour. Il est vrai qu’elle était spectaculaire et tragicomique. Symbolique. Qui n’a pas vu Jean-Pierre Pernaut, au soir du deuxième tour, à 19 h 58, sur TF 1, emplir le petit écran de son dépit, poussant d’affreux soupirs, vociférant « c’est atroce ! », avant de sombrer dans la démence ? Pernaut, qui ce soir-là, devant les caméras, secoue un technicien comme un prunier, mugit, explose, suffoque, ébranle tous les prompteurs. Ça fuse, gicle, trombone et résonne à travers l’image. Autour de lui, le matériel dérouille. Sur le plateau, Robert Ménard s’écarte, craignant la culbute. Éric Ciotti se carapate sous un bureau, Brice Hortefeux le reluque de travers. Jean-Pierre Pernaut ne décolère pas. Il bredouille, bafouille, s’étrangle dans les pleurs. « C’est pas juste ! C’est pas juste ! Qu’est-ce qu’on va devenir ? Anémone ? ! Elle a pas de cœur ! Elle nous ramènera le choléra, la chaude-pisse et les Khmers rouges ! » Il est remonté comme une pendule, ébouillanté comme un tourteau, tumescent, il se dépoitraille, se dégrafe la ceinture.
« La vie, c’est pas une question de cœur », lui répond Éric Zemmour, toujours muni de bons conseils et d’avis éclairés au milieu des siens, en pareille circonstance. Mais rien n’y fait. Pernaut rebondit, la bave aux lèvres, les yeux révulsés, retournant aux invocations. Dans ses rafales, il accroche Frédéric Encel, pourtant expert en posture, lui serre la glotte sous le regard ahuri de Nadine Morano, il lui cogne la tête sur le plancher, avant que deux molosses ne s’agrippent au journaliste pour le sortir du plateau. Retour à l’antenne.
Ce soir-là, Jean-Pierre Pernaut a pété un plomb, comme on dit, jusqu’à priver les téléspectateurs de TF 1 des résultats du deuxième tour de la présidentielle, et de la victoire d’Anémone pendant quelques minutes. Un pétage de plomb à l’antenne, à un instant sensible pour l’audience, qui lui vaut aujourd’hui encore sa mise à pied pour six mois et une sévère hospitalisation. Depuis sa chambre d’hôpital, enserré dans sa camisole de force, à défaut de voir revenir les Khmers rouges, Pernaut a pu observer, dans ces trois premiers mois de présidence, les bouleversements du PAF.
Il convenait sans doute de redresser un paysage miné par les errances, les jeux de réseau, les financements mal ficelés, les conseils et conseillers onéreux, aussi onéreux qu’ineptes et ridicules. Et séance tenante ! Et contre toute attente, plutôt que d’abroger le mode de nomination par l’Élysée des présidents de France Télévisions et de Radio France, selon la loi de Nicolas Sarkozy, Anémone a préféré bénéficier de cette « exception française », en attendant la mise en place d’une Commission des nominations publiques, appuyée par un CSA renforcé dans ses prérogatives. Un CSA qui a été recomposé en septembre, avec l’arrivée de Jean-François Kahn, Michel Polac, Pascal Boniface et Hubert Vielle. Par la voix de Jean-François Copé, qui avait mené la réforme de l’audiovisuel public en 2009, l’ancienne majorité n’a pas manqué de cingler ses successeurs, qui s’étaient insurgés trois ans plus tôt contre cette réforme et son mode de nomination. Politique politicienne. Et force est de reconnaître qu’Anémone n’a pas été d’humeur à tergiverser. C’est dans le PAF, sur le petit écran et dans le poste, que se juge le plus visiblement le bilan des premiers mois de pouvoir.
De fait, des têtes sont tombées. D’autres se sont relevées. Présider, c’est choisir.
À France Télévisions, la bataille de la présidence n’a pas manqué de sel. Et pour le coup, il a été comique d’observer le ballet des prétendants, des courtisans, des revenants, des passe-muraille et des sauve-qui-peut. Car si David Pujadas s’est répandu dans les médias pour reconnaître ses erreurs, son journalisme du côté du manche, avant d’entamer, façon Jean-Luc Delarue, un tour de France militant pour un journalisme pugnace, objectif et moins courbé, d’autres figures médiatiques ont d’emblée brigué les plus hautes fonctions du petit écran. Franz-Olivier Giesbert, sans doute légitimé après avoir épinglé Nicolas Sarkozy dans sa dernière biographie, a fait le planton au vestiaire du Bristol, persuadé d’y croiser Anémone. Balle peau. Les serveurs du chic hôtel rapportent qu’il n’a jamais rencontré que Nicolas Sarkozy lutinant une menthe à l’eau rehaussée d’une goutte de Tabasco.
De son côté, Guillaume Durand s’est pensé pas moins légitime, fier d’une garde-robe qui lui a permis d’exercer sous tous les régimes depuis l’ère pompidolienne, tandis que Mireille Dumas a mis en avant ses voluptés psychologiques, sa connaissance du terrain, c’est-à-dire des plateaux télé. À peine plus subtil, dans une espèce de régression infantile, Serge Moati a souligné son expérience de la communication élyséenne vieille de trente ans, sous la houlette de François Mitterrand. Dans les couloirs de l’Élysée, on raconte que le réalisateur a voulu habiller le château à grands coups de caméras à la gloire d’Anémone pour un documentaire de 6 x 52’ articulé autour des cent premiers jours de sa présidence. Le formatage lui aura sans doute été fatal. Anémone a d’abord songé à Bernard Langlois. Mais l’ermite de Saint-Georges-la-Pouge déclina sobrement l’offre : « Trop bien ici ! », déclara-t-il à l’AFP. Elle a finalement nommé Robert Guédiguian. Un choix judicieux, porté sur un cinéaste exigeant, engagé, et dont la filmographie révèle un point de vue critique et généreux sur la société française, et plus particulièrement sur le peuple. Robert Guédiguian n’a pas laissé à une meute en quête d’espace médiatique le temps de postuler, ni daigné recevoir les gouapes infectes sévissant dans les médias comme on va à la soupe aux quatre fromages, changeant de crémerie d’un quart d’heure l’autre. Il a d’emblée convoqué une poignée de personnalités et établi en moins de vingt-quatre heures le nouvel organigramme de France Télévisions : directeur de l’information : Charles Enderlin ; directeur des programmes culturels : François Gèze ; directeur des documentaires : Jean-Louis Comolli ; directrice des spectacles vivants et de la musique : Ariane Mnouchkine ; chargés des divertissements et de l’impertinence, Christophe Alévêque et Didier Porte, sous le haut patronage de Guy Bedos.
Confiant sur la qualité des programmes à venir, Robert Guédiguian a dû aussi relever le défi d’un financement en hausse par une augmentation sensible de la redevance, à hauteur de 28 %, et une taxe de 14 % sur les revenus publicitaires des chaînes privées. Une réforme garantissant un financement pérenne du service public, plongeant en même temps dans une ire folle les patrons de TF 1 et de M 6. Une rage vaine, repoussée vertement par Anémone, l’État restant propriétaire de toute concession. Le message a été assez clair.
En attendant la rentrée, la nouvelle grille des programmes fait jaser. On sait déjà que Nelson Monfort ne vociférera plus sur le service des sports, prié qu’il a été de regagner la communication de Disney et d’Areva, pour lesquels il n’assurait que trop peu souvent de ménages grassement payés. Tout comme Julien Courbet, prié de retrouver ses premières amours et la chaleur des néons clignotants, dans l’animation de centres commerciaux, les frères Bogdanov, renvoyés à un futur plus que jamais incertain, une esthétique (de la pensée) non moins incertaine… Le retour de Frédéric Taddeï est d’ores et déjà confirmé par l’animateur, non plus pour quatre directs par semaine en deuxième partie de soirée mais autant, et en prime time, tandis que François Cusset assurerait chaque samedi, à 20 h 30, un grand pataquès hilarico-tragi-comique politique et médiatique à la manière de « Droit de réponse ».
Si Robert Guédiguian a mis fin au contrat qui liait le service public à Endemol, signé peu avant les élections, en mars dernier, signifiant ainsi la suppression de la télé-réalité à France Télévisions, on sait qu’il compte sur Jules-Édouard Moustic et Didier Porte dans la perspective d’un grand quiz quotidien à 19 heures, de la Révolution à la Commune, du Front populaire à Mai 68. Enfin, le parcours du nouveau président laisse entendre que le documentaire prendra une place essentielle, comme la géopolitique (il se murmure dans les couloirs l’arrivée de Jean-Christophe Victor), et le débat social (là encore, on parle d’une émission animée par Augustin Legrand et Christophe Aguiton sur le logement).