Le Venezuela déboussolé
Le président socialiste Hugo Chávez vient de rentrer après une longue absence à Cuba pour cause de cancer. Son absence a révélé la fragilité d’un système politique trop personnalisé. Correspondance de Caracas.
dans l’hebdo N° 1160 Acheter ce numéro
Contre toute attente, le président Chávez est rentré lundi dernier dans son pays, après un mois d’absence à Cuba, où il a été opéré d’une tumeur cancéreuse. « C’est le début du retour » , a-t-il déclaré par téléphone à la télévision, alors que son état de santé monopolisait toutes les discussions des Vénézuéliens.
Amaigri, grave et ému, Chávez s’était adressé le 30 juin à son peuple depuis La Havane. « Quand je l’ai vu lire son discours, ça m’a émue. En douze ans à la tête du pays, je ne l’avais jamais vu s’aider de notes » , raconte Helena, qui n’est pourtant pas une fervente admiratrice. Cela faisait plus de deux semaines que le président de 56 ans, connu pour sa frénésie médiatique, n’avait pas fait d’apparition publique. Affaibli depuis mai par une blessure au genou, il s’est fait opérer d’urgence le 10 juin à Cuba pour un abcès pelvien consécutif à une accumulation de pus dans l’abdomen.
Le soulagement passé – des rumeurs véhiculées par Twitter le disaient mort –, la déclaration avait jeté un froid dans le pays. Hugo Chávez luttait pour sa vie et aucune date de retour n’était mentionnée. « Pour maintenant et pour toujours nous vivrons et vaincrons ! Merci ! Au retour ! » , avait-t-il lancé en fin de discours. « Il était perçu comme un Superman, comme un titan, il est redevenu un être humain » , analyse l’historienne vénézuélienne Margarita López Maya.
Alors que les responsables des armées multiplient les messages de soutien à la révolution et à Hugo Chávez, les militants tentent de resserrer les rangs. « Maintenant, c’est mission récupération ! » , s’écrie depuis plusieurs semaines une vieille dame dans un spot publicitaire. À la suite du discours présidentiel, des messes et des rassemblements populaires ont été organisés dans l’ensemble du pays. Dimanche 3 juillet, une centaine de jeunes ont participé à une marche de la jeunesse patriotique et anti-impérialiste à Caracas. « Ici, personne ne se rend […]. Allez Président ! Vous avez un peuple plus uni que jamais » , criait un manifestant.
L’union… Le message est répété par les figures du pouvoir. « Nous demandons au peuple qu’il nous accompagne cette semaine, que nous soyons un roc indestructible pour garantir la révolution » , a déclaré le vice-président Elías Jaua. Ces appels s’adressent plus aux rangs socialistes qu’à l’ensemble de la population. À dix-huit mois de l’élection présidentielle, la crainte de division est vive, certains craignent même un coup d’État comme en 2002, quand el commandante quitta le pouvoir quarante-huit heures durant.
« Le pouvoir est déstabilisé. Comment pourrait-il en être autrement ? Les pouvoirs sont centralisés et personnalisés par un seul homme ! » , explique Margarita López Maya. Depuis décembre, le Président, élu par trois fois, peut légiférer par décrets-lois dans de multiples domaines (finances, infrastructures, logement, sécurité, défense nationale, coopération internationale…). Cette mesure a été prise pour créer rapidement un fonds de reconstruction à la suite des inondations qui avaient laissé plus de 130 000 personnes sans toit. Sociologue et ancien vice-ministre de la Planification en 2002-2003, Roland Denis va jusqu’à assurer qu’ « une lutte de factions pour prendre le contrôle du pouvoir » est en cours.
Hugo Chávez n’a pas légué ses pouvoirs à son vice-président, alors que le pays doit faire face à la crise des prisonniers du pénitencier d’El Rodeo II, dans le nord du pays, qui tiennent en échec quelque 5 000 soldats depuis le 17 juin. Depuis le début des émeutes, 27 personnes sont mortes, auxquelles il faudrait ajouter 60 disparus. Le gouvernement paraît dépassé. Mais, pour Margarita López Maya, l’éloignement du Président pourrait être « une opportunité à la décentralisation et à l’ouverture de la politique » . Une réorganisation de la tête de l’État semble avoir commencé. Selon le quotidien El Mundo, Hugo Chávez aurait l’intention de remanier son gouvernement. Le vice-président Elías Jaua serait remplacé par Nicolás Maduro, l’actuel ministre des Affaires étrangères.
L’opposition se frotte les mains. Après avoir joué la sobriété en souhaitant un bon rétablissement à Hugo Chávez, elle a contre-attaqué sur l’inconstitutionnalité d’un Président gouvernant depuis l’étranger au-delà de cent quatre-vingts jours. Selon certains sondages, le gouverneur de Miranda et membre du parti libéral Primero Justicia (D’abord la justice), Henrique Capriles Radonski, est plus populaire que n’importe quelle figure du chavisme. La révolution bolivarienne dépend plus que jamais du commandante.