Les ailes du fantôme

Mickaël Sterckeman évoque le génocide cambodgien et le silence qui l’entoure.

Marion Dumand  • 7 juillet 2011 abonné·es

Louis n’a jamais connu son père. Sa mère travaille beaucoup, pleure énormément, mais n’en parle pas. Pour seul indice, Louis a les yeux bridés et subit les quolibets de ses camarades : comment sa mère blanche pourrait-elle avoir un petit « Bruce Lee » ? 


Le premier tome de Cent Mille Journées de prières s’ouvre sur cette absence, cette quête. Le lecteur, lui, en sait un peu plus. Écrite par la scénariste Loo Hui Phang, la préface évoque la condamnation, il y a un an, de Kouch, tortionnaire khmer rouge, et la découverte que le génocide cambodgien a fait des morts au sein même de ses proches. « Il est des événements familiaux qui se muent en secrets, ils continuent de hanter les vivants, d’opérer dans l’ombre leur travail de destruction. »


Mais Louis, lui, ignore tout. Jusqu’à ce que son oiseau meure, que son fantôme ailé le pousse à mener l’enquête. Une photo, puis un ami de la famille commencent à dresser le portrait du père manquant. Et le lecteur de s’interroger avec l’enfant : l’homme est-il vivant ? Et, surtout, bourreau ou victime ? 
Par petites touches, une tension se noue (et fait attendre le second tome), sans jamais nuire à la finesse de ce monde enfantin. Un monde où le gris domine le dessin sans flonflons de Mickaël Sterckeman. Parce que la séparation entre réalité, fantasme et cauchemar n’est jamais étanche, parce que les disparus peuvent surgir. Figure inquiétante sans être hostile, l’oiseau ne continue-t-il pas à habiter l’enfant ?

Culture
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