Notre-Dame-des-Landes, le nouveau Larzac
La lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, s’est muée en cause nationale. Les collectivités locales tenues par le PS ont accepté de prêter 115 millions d’euros au concessionnaire Vinci. Les écologistes et presque toute la gauche s’opposent au maire PS de Nantes Jean-Marc Ayrault.
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Toute la semaine il a plu, et les organisateurs ont scruté les nuages pour y lire un oracle. Après des années de lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, prévu à 30 kilomètres de Nantes, une certaine lassitude guette les militants. La concession d’exploitation a été attribuée en décembre dernier à Vinci, géant du BTP, et pour 55 ans : l’adversaire avance.
Et puis la pluie a eu le bon goût de s’arrêter la veille du rassemblement, qui s’est tenu le week-end dernier. Mais aurait-elle empêché le déferlement des visiteurs sur les prés de La Noë verte, mis à disposition par un agriculteur rallié à la lutte ? Les six chapiteaux où se tiennent les débats ne désemplissent pas. Combattants de la première heure, étudiants fraîchement libérés de leurs examens, convois familiaux, la coordination des associations opposées à l’aéroport a recensé près de 15 000 passages pour son rassemblement annuel (voir ci-dessous).
« Et nous serons des milliers à barrer le passage aux bulldozers s’il le faut », clame, galvanisé, Jonathan Guillaume, de l’association Breizhistance. « La mobilisation a dépassé cette année toutes nos espérances, reconnaît Julien Durand, porte-parole de l’Association citoyenne des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa). Et avec une envie de gagner qui a coalisé — c’est nouveau — les partis politiques opposés, du NPA au Modem. »
José Bové, venu haranguer les troupes, rappelle « qu’un mouvement est né sur le Larzac quand les paysans ont décidé de relever la tête. Il se poursuit aujourd’hui à Notre-Dame-des-Landes ». Ici aussi les agriculteurs ont été les premiers à se lever, fondateurs dès 1970 de l’Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca) : le projet initial date de l’époque du Concorde. Il a été réactivé en 2000 par les élus de la Région, socialistes en tête, et avec l’appui du gouvernement. Nouvelle justification : le remplacement des infrastructures de l’aéroport Nantes Atlantique, prétendument saturées.
Cet « aéroport du Grand-Ouest » menace de faire disparaître ou d’affecter 82 exploitations dans cette région bocagère, principalement de petites unités laitières familiales. « La desserte passerait dans cette haie », montre Michel Tarin, agriculteur qui a exploité pendant trente-cinq ans les prés où se tient le rassemblement. « Inutile, pharaonique, destructeur » selon ses détracteurs, le projet est devenu un emblème de l’entêtement d’élus à parier sur un mode de développement « furieusement has been » [^2]. Rentabilité hypothétique, prévisions de fréquentation très optimistes, destruction de 2 000 hectares de bocage, dont une partie à forte valeur écologique… Ce n’est plus une opposition locale, mais une cause nationale pour défendre « un choix de société », insiste Dominique Fresneau, président de l’Acipa, qui a rejoint les paysans en 2000. Même s’ils n’ont à ce jour gravé aucun serment dans le marbre, comme au Larzac il y a quarante ans, « aucun n’a pour le moment accepté les propositions de rachat des terres », se réjouit Marcel Thébault, secrétaire de l’Adeca.
Cette obstination inconditionnelle a vu le renfort, depuis plus d’un an, d’une nouvelle force d’occupation : les « squatters, les petits jeunes, les nouveaux occupants, comme on nous appelle, expliquent Anne et Gaël. Nous avons simplement choisi de vivre ici dans le but d’entraver physiquement les travaux ». Plus d’une vingtaine de maisons, cabanes, champs et jardins sont occupés sur les 840 hectares déjà acquis par le conseil général pour préparer le chantier de l’aéroport.
Choc des cultures, entre une mouvance anarchisante encline à affronter les forces de l’ordre, et un peuple paysan enraciné dans une terre qu’il destine avant tout au travail. Comme sur le plateau des Grands Causses dans les années 1970, la défiance a prévalu au départ, mais la relation est aujourd’hui pacifiée. « Nous soutenons tous ceux qui veulent vivre ici », déclare Dominique Fresneau. Le 7 mai dernier, plus de 500 personnes ont soutenu l’installation, au lieu-dit Le Sabot, de huit paysans sans terre qui se lancent dans le maraîchage. Quelques dizaines d’anti-G8-G20 ont profité du rassemblement de La Noë verte pour implanter à proximité un nouveau « village autogéré » de tentes et de baraques, qui durera « jusqu’à la fin du monde — au moins ! », annonce un tract. « Nous voulons porter la convergence des luttes à travers une occupation permanente du site », s’explique un jeune homme discret, qui admet ne pas vraiment connaître l’histoire du Larzac.
2011 a vu l’émergence d’un collectif fort d’une quarantaine d’associations et partis, parmi lesquels Europe Écologie-Les Verts (EELV), le NPA et le Parti de gauche (PG). Attac-France est en première ligne, sous l’impulsion de sa branche départementale, impliquée dès le départ. Soutien également d’habitants de la région toulousaine, un temps menacés par la construction d’un nouvel aéroport, d’un groupe anglais qui a bloqué le projet d’une troisième piste à l’aéroport londonien d’Heathrow, ou encore des opposants russes à un projet d’autoroute proche de Moscou et concédé à Vinci (voir p. 6). Le nouveau Larzac du Grand-Ouest, requinqué par la mobilisation de La Noë verte, a-t-il les moyens de défaire les bétonneurs, comme l’antimilitarisme allié aux paysans avait, en son temps, fait plier le ministère de la Défense ? Des recours juridiques sont en cours (voir ci-contre). Mais la carte maîtresse, c’est 2012, appuie Julien Durand : « Les politiques ont la responsabilité de stopper ce projet absurde, la population est derrière eux. »
Les Alternatifs et EELV avaient choisi d’organiser à Nantes, respectivement, leurs journées d’été et un conseil fédéral afin de rendre visite au rassemblement. Au fait des compromis politiques qui font de la région un fief écolo-socialiste, certains militants locaux, à l’instar de Geneviève Coiffard, d’Attac 44, redoutent que Notre-Dame-des-Landes soit sacrifié aux alliances électorales à gauche. L’aéroport Grand-Ouest est principalement porté par le PS [^3], qui tient le conseil régional des Pays-de-la-Loire, le conseil général de Loire-Atlantique et la Communauté de commune de Nantes métropole, présidée par l’incontournable Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes et le plus farouche partisan du projet. Une obsession, rapportent tous ceux qui l’ont approché sur le sujet.
Cécile Duflot, secrétaire nationale d’EELV, affirme plus clairement que jamais que « l’abandon du projet est devenu un préalable non négociable d’un accord EELV-PS ». Une motion dans ce sens a été votée par 92 % des délégués du parti écologiste lors de son congrès tenu à La Rochelle début juin. En juin dernier, le groupe EELV du conseil régional Pays-de-la-Loire a voté contre l’octroi d’une avance remboursable de 40 millions d’euros à Vinci. « Comme ce fut le cas avec les promoteurs des centrales nucléaires de Plogoff et du Carnet, ou du camp du Larzac, cette fois-ci encore, vous reculerez, MM. Ayrault et Fillon », pronostique Martine Billard, coprésidente du PG.
L’assistance boit du petit-lait. Pourtant, les militants aguerris n’entendent pas s’en remettre aux promesses des politiques. Paysans, associatifs, élus locaux se voient déjà marcher sur Paris à l’automne, quand démarreront les travaux préparatoires aux infrastructures routières prévues pour l’aéroport. « Avec des troupeaux de vaches qui se relaieraient sur plusieurs dizaines de kilomètres », rêve Dominique Fresneau. Comme en 1972, quand les brebis du Larzac avaient pris possession du champ de Mars.
[^2]: Lettre des élus Alternatifs, mai 2011.
[^3]: Soutenu localement par l’UMP et le PCF. À lire : C’est quoi, c’tarmac ?, collectif Sudav, éd. No Pasarán, 10 euros, sur le projet et les luttes d’opposition.