Un duel homérique
dans l’hebdo N° 1163-1165 Acheter ce numéro
Principale tâche de cette dernière semaine avant le verdict : la préparation du sacro-saint débat télévisé. Même si à ce petit jeu Sarkozy était un adversaire redoutable, Anémone disposait, avec sa petite troupe d’intermittents du spectacle, de sparring-partners qualifiés et exigeants. Ils avaient intégré la rhétorique et l’argumentaire du président sortant, et envisageaient avec elle toutes les réparties, toutes les situations difficiles auxquelles elle aurait à faire face, tous les coups bas que ne manquerait pas de lui asséner son contradicteur. Ainsi entraînée, Anémone n’avait « même pas peur ».
Le duel fut homérique. Sarkozy pensa d’abord pouvoir la jouer sur un mode mineur, comme en 2007, face à Ségolène Royal, qui avait dévissé d’emblée avec ses histoires de fliquette du commissariat de Bobigny à raccompagner chez elle par un flic. Mais Anémone n’avait rien de l’allumée qu’il avait imaginée. Elle développait solidement toutes ses propositions – le changement de Constitution, la réforme de la fiscalité, la sortie du nucléaire en vingt ans et l’investissement dans les énergies renouvelables… – au point que Sarkozy en était presque inaudible.
-
Vous êtes très en avance en termes de temps de parole, crut bon de tancer Anémone l’un des deux arbitres du débat, David Pujadas.
-
Vous, parlez-moi sur un autre ton s’il vous plaît ! Et puis je ne suis pas tous les soirs comme vous à la télé, alors, laissez-moi parler…
Sarkozy fut aussitôt relancé par Laurence Ferrari. Il changea de registre et essaya toutes les formes d’agressivité, l’arrogance et la dérision étant celles qu’il affectionnait le plus. Vint alors le moment d’anthologie, comme chacun de ces débats d’entre-deux-tours en ont toujours réservé. On approchait de la fin, et Sarkozy tentait de faire sortir sa challengeuse de ses gonds.
-
Mais Madame Anémone, vous croyez vraiment à ce que vous dites ? Tout cela n’est pas sérieux, non ?
-
Ce n’est quand même pas vous qui allez me donner des leçons de sérieux. Toutes vos promesses sont tombées à l’eau en cinq ans de présidence, les conditions de vie de la plupart des gens n’ont fait que régresser !
-
Ne vous défendez pas en m’attaquant, Madame Anémone. Avouez plutôt qu’en vous portant candidate, vous avez endossé le plus mauvais rôle de votre carrière…
-
Vous voulez devenir mon agent ?
-
Arrêtez votre cinéma, Madame Anémone. La France a besoin d’un dirigeant responsable qui a les pieds sur terre.
-
Dites donc, Sarko, vous voulez absolument me faire passer pour une saltimbanque. Je suis peut-être la candidate des rushes, mais vous, vous êtes le candidat des riches !
Ce fut la phrase du débat. Celle que l’histoire retiendra. Le résultat du second tour ne faisait plus mystère. Le président sortant était carbonisé.
Anémone fut élue avec plus de 54 % des voix. Dès l’annonce du résultat, toutes les places des villes et des villages furent investies par des foules exubérantes. Les moins jeunes des Parisiens se souvenaient du 10 mai 1981, au soir de l’élection de Mitterrand, place de la Bastille sous la pluie. Ils se disaient que, cette fois, la joie ne devrait pas faire place à la désillusion. On chanta tous les classiques : « le Temps des cerises », « l’Internationale », « le Chant des partisans » version Motivés… Quelques joyeux drilles, parmi lesquels on reconnut Christophe Alévêque, se postèrent devant le Fouquet’s pour interpréter des refrains légers. Parmi ceux-ci : « Sarko, si tu savais, ta Rollex, ta Rollex, Sarko, si tu savais, ta Rollex où on s’la met ! » ; ou bien : « Que la paix soit sur l’immonde/Pour les cent mille ans qui viennent/Donnez-lui mille concombres/Pour un usage inconvenant… » ; ou encore, en écho à ce qu’on savait des tout derniers rebondissements de la vie privée du désormais ex-président, et en hommage à Michel Sardou : « Me parlez plus jamais de Carla/Carla elle m’a laissé tomber/Me parlez plus jamais de Carla/C’est ma dernière volonté. » Bien vu mais pas très sport…