À Marseille, les bleus ont le blues

La ville dispose d’un nouveau préfet de police partisan de la sécurité « visible », mais n’ont pas assez de véhicules pour patrouiller. Les syndicats dénoncent un grave manque d’effectifs et de moyens.

Sébastien Boistel  • 8 septembre 2011 abonné·es
À Marseille, les bleus ont le blues
© Photo : AFP / Poujoulat

Au lendemain de la visite du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, à Marseille, pour installer un nouveau préfet de police, la cité phocéenne garde sa robe bleu marine. À Noailles, quartier carrefour au cœur de la ville, si l’on peut encore faire son marché, on ne peut plus faire des affaires : les vendeurs à la sauvette ont disparu. Un peu plus loin, dans le quartier Belsunce ou porte d’Aix, les Roms ont été chassés et les étals de fortune balayés. La pelouse est désormais « interdite ». Sauf aux CRS. Soupir d’un policier : « On ne fait que déplacer le problème. Les vendeurs ont trouvé refuge vers la gare. On joue au chat et à la souris… »


Marseille était secouée par les faits divers ? Marseille faisait trop parler d’elle ? Qu’à cela ne tienne : Nicolas Sarkozy a nommé un nouveau préfet de police, le troisième en deux ans. Au bout de huit mois en poste, Gilles Leclair a été remplacé par Alain Gardère, un partisan de la sécurité « qui se voit ». Une décision qui rappelle le remplacement en Seine-Saint-Denis de Nacer Meddah par Christian Lambert en avril 2010. Sans grand effet sur la délinquance pour autant…


Pas de quoi rassurer la maréchaussée ** marseillaise, guère plus convaincue par les 166 policiers supplémentaires annoncés par Claude Guéant que par la centaine de policiers municipaux et le millier de caméras de vidéo­surveillance promis par le sénateur-maire (UMP) Jean-Claude Gaudin. Les policiers sont unanimes : le compte n’y est pas. Il manquerait « au moins deux cents fonctionnaires » à Marseille, d’après les syndicats.


Cette cité deux fois plus étendue que la capitale a gagné 40 000 habitants en quelques années, mais les policiers y restent trois fois moins nombreux qu’à Paris. Alors, quand un flic marseillais rencontre un homologue parisien, forcément, ça cause manque de moyens : « Pour patrouiller dans le centre, on a deux véhicules en tout et pour tout. Pas étonnant qu’au sortir des boîtes autour de l’Opéra, les clients un peu bourrés se fassent systématiquement dépouiller. On n’est pas assez nombreux pour surveiller ! »


Alphonse Giovannini, du syndicat Unité Police (SGP-FO), confirme : « Cela fait trente ans que je travaille ici. Avant, on était jusqu’à cinq par véhicule. Aujourd’hui, on n’est plus que deux, avec seulement une ou deux voitures police-secours pour couvrir plusieurs arrondissements. Il suffit de deux affaires — un accident, un cambriolage… — pour qu’il n’y ait plus personne de disponible. On est donc obligés de faire des choix. D’où une moindre présence policière dans certains arrondissements. »


La faute à la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui, depuis 2007, s’est traduite par la suppression de dix mille postes de fonctionnaires de police. Elle s’est aussi accompagnée d’une réorganisation des services de police par secteur.


« Tout se fait à effectifs constants, déplore Fabrice Hiller, responsable régional d’Unité Police : la création, pour des raisons notamment politiques, des unités de sécurisation et d’intervention ainsi que la réorganisation des services d’investigation ; la couverture de secteurs jusque-là assurée par la gendarmerie ; et l’ouverture d’un nouveau commissariat à Septèmes-les-Vallons. » « On déshabille Pierre pour habiller Paul, peste un ancien. Pour sécuriser la porte d’Aix lors de la visite de Claude Guéant, on a appelé des unités en renfort qui ont dû quitter leur secteur… »


Désert d’un côté, heures sup’ de l’autre. « Payées 12 euros brut de l’heure, quand elles sont payées ! Quant aux jours de récup’, on n’arrive même plus à les prendre… », ajoute Fabrice Hiller. Les voitures de police ont des kilomètres au compteur. Le commissariat de Noailles sent encore le neuf sur la Canebière, mais les véhicules garés devant ont l’air à bout de souffle. « Ils tournent 24 heures sur 24. Leur espérance de vie est de 4 ou 5 ans alors qu’il faudrait, au vu des budgets, qu’ils tiennent le double, voire le triple. Quand on voit nos voitures, on n’est pas fiers de verbaliser des types pour défaut de contrôle technique. Sans parler des risques d’accident… »


Le maître mot, c’est « bricolage ». À tous les étages. Un policier passé par Marignane se souvient qu’il y a quelques années, « la nuit, on demandait aux gens qui venaient porter plainte de repasser le lendemain. On n’avait pas de papier d’imprimante ! ». À la PJ, un officier pointe du doigt l’informatique : « Pour filmer les auditions de mineurs, on est obligés de faire la queue pour accéder aux rares ­ordinateurs équipés d’une webcam qui fonctionne. Par le passé, on a même fait appel à des sociétés extérieures ! Aujourd’hui, ce n’est plus possible. D’où le risque de voir une procédure annulée. » Un de ses collègues opine : « Dernièrement, il a fallu lever le pied, notamment le week-end, sur les écoutes et les recherches de portables. La société qui s’en chargeait s’est plainte de retards de paiement. »


À Marseille, plaque tournante du trafic de drogue, « les stups ne comptent que dix-huit fonctionnaires, s’insurge Alphonse Giovannini. Pour faire tomber un réseau, il faut des écoutes, des filatures, des indics, des planques… Ça prend des mois. Avec si peu d’effectifs, c’est impossible. »


Ici, tout le monde a encore en tête cette note qui stipulait, arrondissement par arrondissement, le nombre de « mises à disposition » (gardes à vue) que devait faire chaque fonctionnaire dans le mois. « Ça existe toujours, déplore Fabrice Hiller. D’un point de vue statistique, il est plus intéressant d’arrêter un petit fumeur de shit que de chercher à faire tomber un gros trafiquant de drogue. »


Les flics ont le blues. La preuve : « De plus en plus d’adjoints de sécurité (ADS) — les “emplois jeunes” de la police — ne veulent plus rejoindre nos rangs après leurs six ans de service, note le syndicaliste. Ils préfèrent devenir agents de sécurité, gendarmes ou encore policiers municipaux. » Ce qui lui rappelle une anecdote : « Au commissariat central des quartiers Nord, la barrière à l’entrée est restée hors service pendant des mois. Faute de budget pour la réparer, on a collé un ADS devant, pour faire le planton. »


Porte d’Aix, sous les panneaux vantant le nouveau visage de Marseille, les CRS cherchent l’ombre et trompent l’ennui en s’y mettant à dix pour interpeller un type dans un salon de coiffure.


En partant, Claude Guéant a promis l’arrivée prochaine de deux compagnies. Il ne sera pas parvenu à faire oublier qu’il y a moins d’un an son prédécesseur, Brice Hortefeux, avait envisagé de supprimer la CRS 54, basée à Marseille. Raymond Vazquez, délégué régional CRS du syndicat Unité-SGP-police, se souvient : « On avait dû faire trois jours de grève de la faim pour que le ministre revienne sur sa décision. »


Société
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