Affaire DSK : la justice inachevée
Le feuilleton judiciaire s’est terminé le 24 août par l’équivalent d’un non-lieu et sans avoir fait éclater la vérité. Des féministes se mobilisent pour éviter que l’ensemble des victimes de viol s’en trouvent décrédibilisées.
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Étrange épilogue ! Le 23 août, le procureur de New York, Cyrus Vance Jr., annonce l’abandon des poursuites contre Dominique Strauss-Kahn, accusé de viol par Nafissatou Diallo. Le lendemain, il est suivi par le juge. Conclusion : il y aurait bien eu « une brève relation sexuelle » entre l’ex-président du FMI, candidat pressenti à la présidentielle française, et cette femme de chambre du Sofitel de New York, mais pas assez de preuves pour établir que cette relation a été contrainte. Il n’y aura donc pas de procès. Affaire classée.
Est-ce fini pour autant ? Sur le plan judiciaire, les avocats de Nafissatou Diallo promettent de porter l’affaire devant un tribunal civil du Bronx pour « agression sadique et violente ». Ce qui pourrait donner lieu à une transaction financière. En France, l’enquête se poursuit dans l’affaire Tristane Banon. Me David Koubbi, l’avocat de la jeune femme qui accuse DSK d’avoir tenté de la violer en février 2003, requiert le témoignage de Piroska Nagy, cette économiste au Fonds monétaire international qui avait eu une relation avec Strauss-Kahn en 2008. Mais l’heure est tout de même aux conclusions.
Du point de vue des féministes, il y aura incontestablement un avant et un après l’« affaire DSK », notamment en France, où 92 % des femmes violées ne déposent pas plainte. Cette affaire a-t-elle libéré la parole des victimes ? On peut l’espérer. Mais on peut aussi craindre un « effet retour », c’est-à-dire que l’abandon des poursuites pénales contre DSK ne décrédibilise l’ensemble des victimes de viol.
D’où une pétition lancée le 23 août par Sandrine Goldschmidt, journaliste, et Muriel Salmona, psychiatre, intitulée « Pas de justice, pas de paix ». À paraître également en septembre : Un troussage de domestique (Syllepse), ouvrage coordonné par la féministe Christine Delphy (Clémentine Autain, Mona Chollet, Sabine Lambert…), sur le thème « le sexisme comme idéologie rationalisant les atteintes aux droits des femmes ».
Du point de vue judiciaire, l’affaire n’est tranchée pour personne. Les contradictions de Nafissatou Diallo ont conduit le procureur à estimer qu’il y avait un « doute raisonnable » qui rendait improbable la condamnation de DSK en cas de procès. Cela d’autant plus qu’il faut l’unanimité du jury pour obtenir la condamnation de l’accusé.
Or, dans le système américain, la relaxe de l’accusé à l’issue d’un procès est vécue comme une défaite personnelle du procureur, qui risque de lui coûter sa réélection… D’où la tentation pour le procureur d’anticiper sur une éventuelle relaxe, plutôt que d’aller au devant d’un « échec ». Le problème, c’est que cette affaire s’achève dans le bureau du procureur et non dans une audience publique qui aurait pu conduire à la vérité. La parole de la plaignante a été jugée suffisamment crédible le 14 mai pour faire arrêter un homme que l’on exhiba comme un condamné. Mais, trois mois plus tard, la parole de la même plaignante était considérée comme suffisamment sujette à caution pour que DSK soit tiré d’affaire.
La protection de l’accusé et la notion de « doute raisonnable » peuvent paraître justes ; elles n’empêchent pas la justice américaine de commettre beaucoup d’erreurs judiciaires. Le parquet américain multiplie généralement les pressions pour inciter les prévenus à plaider coupable, et 95 % d’entre eux reconnaissent les faits.
C’est ici que le rapport de force social a sans doute joué en faveur de DSK, qui n’a guère été confronté à ces pressions. Nafissatou Diallo, femme de chambre, jeune (32 ans), noire, immigrée, célibataire, et Guinéenne du Bronx… ne faisait pas le poids.