Biélorussie, la dernière dictature d’Europe

Ales Bialatski, le principal représentant des opposants au régime de Loukachenko, est incarcéré depuis août. La peur règne dans tout le pays.

Claude-Marie Vadrot  • 29 septembre 2011 abonné·es
Biélorussie, la dernière dictature d’Europe
© Les manuels scolaires sont à la gloire du président Loukachenko, « réélu » depuis 1994. DRACHEV / AFP

Depuis le début du mois d’août, Ales Bialatski, le président de Viasna [^2], la plus importante association de défense des droits de l’homme en « République » biélorusse, est en prison. Que cet écrivain et enseignant soit également le vice-­président de la Fédération internationale des droits de l’homme ne dérange pas du tout le président Alexandre Loukachenko, constamment « réélu » depuis 1994. Cela ne gêne pas non plus la justice de son pays, habituée, comme la police, à obéir aux oukases de cet ancien député et apparatchik soviétique, qui fut également directeur d’un sovkhoze (ferme d’État).

Comme dans une vieille histoire soviétique, quand les dissidents et les opposants se réfugiaient dans la seule pièce qu’ils pensaient à l’abri de tout système d’écoute, le reportage commence dans la cuisine de l’appartement qui sert depuis des années de quartier général précaire à Viasna. Dehors, deux policiers en civil, cigarette au bec, sont aussi discrets que des dinosaures du KGB.

Dans le local de l’association, c’est l’effervescence : une petite manifestation de protestation commence dans le centre-ville dans quelques minutes. Vladizmir Ladkovich est permanent de l’association et remplace le président emprisonné. Il explique que plusieurs cadres de Viasna sont partis se réfugier en Lituanie et en Pologne. « Le pouvoir , dit-il, sait très bien ce qu’il fait. Ales a été pris en otage. Ils vont essayer de le garder le plus longtemps possible. La situation est grave car c’est la première fois que les services spéciaux s’attaquent aux défenseurs des droits de l’homme. Personne n’a le droit de rendre visite à notre président. Le prétexte de son arrestation ne repose sur aucun fondement. Comme nous n’avons aucune existence légale, il a ouvert deux comptes bancaires, en Lituanie et en Pologne, pour recueillir les fonds qui nous parviennent de l’étranger pour assurer notre ­fonctionnement. Volontairement ou non, les deux gouvernements ont communiqué des renseignements sur ces comptes à nos services spéciaux, et le pouvoir biélorusse accuse Bialatski de dissimulation de revenus et de fraude fiscale. »

Lors de sa création en 1996, Viasna a été enregistré comme association. Puis l’enregistrement a été annulé, la privant de tout statut légal. Officiellement, elle n’existe plus, elle n’est que tolérée. « Aux yeux de la loi, nous sommes des criminels, comme la trentaine d’opposants et de militants qui sont déjà en prison. Parmi eux, trois personnes qui ont osé se présenter contre Loukachenko à la présidentielle de 2010. Nous nous efforçons de les aider, de soutenir leurs familles, de leur faire parvenir des médicaments, de leur procurer des avocats, mais ce n’est pas facile. Nous ne sommes que des militants précaires. Tout le monde a peur. »

Comme de nombreux membres de l’association, laquelle revendique une vingtaine de bureaux dans le pays, des milliers d’activistes ont perdu leur travail, surtout depuis le scrutin de 2010 et les manifestations qui se sont déroulées avant et après le vote.

Le professeur d’anglais Konstantin Staradubets, qui se réjouit d’avoir par miracle, et pour l’instant, conservé son emploi, approuve quand Vladizmir précise : « Il y a aujourd’hui plus de démocratie au Maroc, en Tunisie, en Égypte et même en Libye qu’en Biélorussie. Mais la seule réaction de l’Occident est une interdiction de voyager en Europe et aux États-Unis pour le président biélorusse, une quarantaine de ministres et de hauts fonctionnaires. Cela ne suffit pas. Nous avons besoin de faire connaître notre combat et de bénéficier de l’appui actif de l’opinion publique occidentale. Quand au gouvernement russe, la question des droits de l’homme ne l’intéresse pas. »

Konstantin et Vladizmir ont respectivement 31 et 33 ans. Ils expriment courageusement ce qui se murmure dans tout le pays. Les militants de Viasna ne peuvent pas compter sur la presse car les journaux indépendants ont disparu depuis des années. La télévision appartient au pouvoir. Quand une chaîne russe se risque à critiquer la politique biélorusse, elle est immédiatement bloquée. Il ne reste qu’Internet et les sites animés par les deux journalistes de l’association. Mais dans un pays où 44 % des habitants, au mieux, ont accès au web, c’est très insuffisant. La petite station de radio de l’opposition biélorusse, qui émet depuis la Pologne, est rarement audible, car trop faible et fréquemment brouillée.

Le président par intérim va maintenant s’enquérir du sort des quelques manifestants partis protester contre l’arrestation d’Ales Bialatski, car ils ont tous été arrêtés… Avec ses maigres forces, Viasna tente d’ébranler cette chape de plomb et de silence. Les Biélorusses, qu’ils soient militants ou qu’ils rêvent simplement de vivre dans un pays « normal », ont peur que leur identité soit révélée. Avant de s’exprimer sur la dictature, les farces électorales, les campagnes d’affichage nationalistes du régime ou la crise économique dans laquelle le pays se débat, ils supplient qu’on fasse bien attention de préserver leur anonymat.

Cette crise est telle, explique Sacha, jeune universitaire, « que tous les Biélorusses seront bientôt millionnaires puisque, au taux de change officiel, qui ne reflète pas la réalité, le salaire moyen à Minsk – 400 euros – équivaut à près de 3 millions de roubles biélorusses » . Une inflation galopante fait grimper les prix tous les jours. Sacha fustige la « toute petite classe qui s’accapare les richesses du pays »  : « Il n’est pas question à l’université de dire ce que l’on pense. Sous peine d’être exclu ou de se voir refuser de bonnes notes à un examen. Sauf lorsqu’on a les moyens, comme en Russie, d’acheter son diplôme. Mais dans ce domaine aussi les prix s’emballent. »

Dans le sud du pays, Lisa, 18 ans, en première année d’anglais à l’université de Gomel, ne dit pas autre chose. Elle va de temps à autre en Ukraine, toute proche, « pour respirer » . Elle rêve d’un pays, dit-elle, « où je pourrais choisir ma chaîne de télévision, où je ne serais pas abreuvée sans arrêt de propagande » . Au marché tout proche, Lisa désigne « ces retraités et ces jeunes qui viennent vendre quelques légumes pour survivre parce que les pensions diminuent ; tout comme les indemnités versées aux victimes du nuage de Tchernobyl. Je n’étais pas née, mais tout le monde en parle encore : à voix basse puisque officiellement il n’y a plus de problème. Ils ont même décidé par décret la décontamination de milliers d’hectares. Personne n’y croit, surtout pas les paysans qui sont incités à s’y installer. En vain, car tout le monde a encore secrètement peur du nuage » . Un nuage ayant contaminé toute une zone à l’est et au nord de la ville, soit deux millions de personnes qui n’ont pas été évacuées.

Pas de champignons au marché, ils sont interdits pour cause de radioactivité. Malgré tout, des girolles énormes se bradent à 2 ou 3 euros le kilo le long des routes ou au marché de Minsk. Mais personne ne se précipite…
À Vietsa, petite ville à l’ouest de Gomel, Igor, ingénieur en mécanique : « Je dois être très prudent dans mes jugements ou lors de mes rencontres avec les gens de Viasna, ceux de Gomel et d’autres. J’ai trois enfants : si je pense à leur avenir, je dois me battre pour la démocratie, mais si je pense à leur présent, je dois faire attention. Je ne supporte plus cette situation, et de nombreux Biélorusses pensent la même chose. » Glaçant. Il ajoute : « Après Tchernobyl, nous avons mérité de vivre dans une vraie démocratie. »

[^2]: « Printemps » en français.

À lire : Biélorussie, mécanique d’une dictature, Jean-Charles Lallemand et Virginie Symaniec, Les petits matins, 2007.

Monde
Temps de lecture : 7 minutes

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