Changer d’ère / SOS forêts publiques

Jean-Claude Génot  • 15 septembre 2011 abonné·es

Dans un article intitulé « La forêt à l’heure du produire plus », je m’interrogeais : « Au fait, et si les chiffres de l’Inventaire forestier national (IFN) sur les accroissements annuels qui ont servi à lancer cette mobilisation générale pour couper plus étaient erronés ? Allez, un volontaire pour aller vérifier… »
 Eh bien, je ne croyais pas si bien dire, il s’avère que ces chiffres sont surestimés de 20 % ! Oui, l’État a engagé une politique forestière pour produire plus de bois sur la base de chiffres biaisés. De ce fait, les prévisions d’augmentation du volume prélevé, à savoir plus de 40 % d’ici à 2020, sont totalement irréalistes, à moins d’entamer fortement le capital des forêts et d’hypothéquer lourdement leur avenir. Croyez-vous pour autant que la politique gouvernementale ait été revue à la baisse ?
Non, car la machine industrielle est en marche, et rien ne doit résister aux marchés !
Erreur de statistiques, surexploitation forestière actée lors du Grenelle et cautionnée par des associations pourtant « de protection de la nature », rajeunissement forcé de la forêt prétendument au nom du changement climatique : tout cela ressemble à un cauchemar…

Très tôt, j’ai eu des doutes parce que je rencontrais sur le terrain de nombreux forestiers publics en désaccord avec les chiffres de l’IFN. Ainsi, lors d’une table ronde sur la forêt en Alsace, début 2011, un représentant de la filière bois qui évoquait un volume récoltable de 10 m3/ha/an est repris par un ingénieur de l’ONF qui annonce une valeur inférieure de près de 50 % !
Écoutons Alain Givors, président de l’association Pro Silva : « Il faut considérer la valeur de la production. Or, celle-ci ne peut être améliorée que si les forêts sont composées d’un volume suffisant de beaux arbres produisant du bois de qualité. Le danger serait de décapitaliser des bois en cours de croissance par des coupes rases de grandes surfaces. » 
Je redoute pour ma part un tel scénario pour les années à venir. Mais, rassurons-nous, cela se fera « dans le respect du développement durable », avec de la mécanisation « raisonnée », des routes en montagne « paysagères » et des chantiers certifiés PEFC…

Surestimation ou pas de la part de l’IFN, le sort de la forêt publique semble scellé. Ainsi, l’ONF sortait dès 2010 un document, « La gestion durable des forêts publiques en forêt domaniale », où les vieux concepts productivistes sont repeints de la bonne couleur — « croissance verte » ou « décapitalisation raisonnée ». On nous dit qu’il est faux de croire que les récoltes se sont intensifiées en forêt domaniale depuis quelques années ? Il suffit de visiter, via Google Earth, les forêts domaniales de Bercé, de Tronçais, de Citeaux, de Bertranges, de Darney et d’Écouves… pour observer les coupes rases effectuées depuis le Grenelle, avec des cloisonnements, espaces qui transforment la forêt en champ d’arbres.
Le président de la République, en déplacement en Corrèze fin avril, renchérissait : « Qui viendra visiter le pays si les forêts sont protégées et devenues impénétrables parce qu’elles ne sont plus travaillées ? » Peut-être n’a-t-il jamais entendu parler du parc national de la forêt de Bavière, plus de 17 000 ha de forêts non exploitées, visités par des centaines de milliers de promeneurs chaque année.

Certaines municipalités, qui ont le souci du long terme, résistent encore à la surexploitation des forêts publiques françaises. En Lorraine, un collectif composé d’associations de protection de la nature, de la fédération régionale des chasseurs, de syndicats et de partis politiques d’opposition s’est mobilisé pour défendre la forêt face aux coupes. Il a saisi la Commission européenne sur le sort des nombreuses zones Natura 2000 menacées. Cette initiative lorraine s’étend, désormais appuyée par la LPO et le WWF [^2], contre une politique forestière qui ressemble fort à un abandon pur et simple des forêts domaniales aux lois du marché, avec un gestionnaire, l’ONF, au bord de la privatisation, à qui l’on demande de se payer sur la vente de bois — qu’il faut donc couper plus et plus.
 

[^2]: Pour la pétition de SOS forêts : http://sosforets.wordpress.com/

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

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