Fillon, mauvais plan
Présidentielle oblige, le Premier ministre en est réduit à faire de la com budgétaire. Son plan de réduction des déficits risque juste d’aggraver la récession…
dans l’hebdo N° 1166 Acheter ce numéro
Tous les ingrédients médiatiques sont réunis pour faire passer la pilule de l’austérité budgétaire. Des très riches qui supplient qu’on les taxe (mais pas trop), un Premier ministre qui endosse les habits de père la rigueur pour annoncer un plan d’économies supplémentaires de 11 milliards d’euros pour 2012 (voir encadré), des marchés financiers aux aguets… Sans oublier, en embuscade, la très libérale Commission européenne, qui a adressé en juin ses recommandations pour réduire le déficit public de la France. Pas de surprise, donc, mais un plan qui s’ajoute à une politique menée depuis 2007.
Lors de son intervention du 24 août à Matignon, quelques semaines après le krach boursier, François Fillon a trouvé la justification à son nouveau plan : la croissance escomptée en 2011 et en 2012 a été revue à la baisse (+ 1,75 % au lieu de 2,25 % en 2012). Une mauvaise nouvelle qui révèle une politique fondée sur la casse des services publics, responsable de la récession économique. Fillon doit surtout donner des gages de sérieux aux marchés en ramenant les déficits publics en 2013 à 3 % du produit intérieur brut, tels que définis par la règle d’or européenne en matière de déficit public.
Matignon jure que la réforme des retraites en 2010 a rassuré les investisseurs et conforté la triple notation « AAA » de la dette française. Et la réforme sans précédent de l’État (RGPP) est également invoquée « pour préserver la confiance des investisseurs et des marchés ». « La révision générale des politiques publiques a déjà permis de générer 15 milliards [sic] d’économies et le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite », s’est félicité le Premier ministre (voir page suivante). François Fillon s’est même autorisé un gros mensonge au JT de 20 heures de TF 1, en affirmant que « 83 % » des efforts demandés visaient « les grandes entreprises, les détenteurs de patrimoine et les revenus très élevés ». Déniant ainsi l’accumulation des mesures d’austérité pesant sur les ménages.
La très médiatique taxation exceptionnelle sur les hauts revenus, présentée comme une mesure de justice fiscale et sociale, ne fait en réalité qu’augmenter l’impôt sur la fortune (ISF), que le même gouvernement, il y a à peine quelques mois, a réformé et… diminué ! Ce qui a fait dire au Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon que « la justice fiscale et sociale version UMP, c’est “pas touche aux rentes ni à la finance, et austérité pour les peuples !” ».
Selon Eva Joly, candidate d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) à la présidentielle, « le gouvernement fait reposer les effets de la crise sur les couches de la population les plus vulnérables et coupe dans les aides aux économies d’énergie. Il préserve les niches fiscales favorables aux plus aisés, les niches polluantes, les niches électoralistes ou la niche Copé [mesure dérogatoire de l’impôt sur les sociétés], symbole d’une Europe de la concurrence fiscale ». Personne n’est dupe à gauche et dans les organisations syndicales : le cap de l’austérité reste inchangé. « Il y a une petite retouche très politique parce que le sujet de l’équité fiscale a suscité une telle attente que le pouvoir ne pouvait pas ne pas envoyer un signal, mais il a fait vraiment le minimum », estime Vincent Drezet, du Syndicat national unifié des impôts (Snui-SUD Trésor).
Les mesures Fillon ne suffiront pas à réduire une dette publique dépassant 1 650 milliards d’euros. « Si on fait le compte sur une dizaine d’années, il y a eu un allégement massif des revenus du patrimoine des plus aisés, ajoute Vincent Drezet. Et on a l’impression que la superposition du Pacte pour l’euro, du Semestre européen, de la règle d’or et des lois cadres pluriannuelles sur les finances publiques étouffent l’expression démocratique du Parlement. » Le gouvernement a exclu d’autres choix possibles, comme, par exemple, « d’expliquer à l’opinion en quoi il pouvait y avoir une bonne et une mauvaise dette », souligne le Snui-SUD Trésor.
Dans la mauvaise dette, figurent les cadeaux fiscaux aux ménages les plus aisés et aux grandes entreprises, ainsi que le résultat des mesures prises pour juguler la crise financière et la récession. « Si on veut réorienter la fiscalité, on aurait pu créer très facilement une nouvelle tranche à l’impôt sur le revenu et réintroduire dans cet impôt tous les revenus, y compris les revenus financiers. Cela rapporterait entre 3 et 4 milliards d’euros à l’État. Il y a aussi les 66 milliards de régimes fiscaux dérogatoires à l’impôt sur les sociétés. On pouvait dégager à court terme 5 à 10 milliards en rééquilibrant cet impôt entre les petites et moyennes entreprises. »
Les efforts fiscaux supplémentaires sont une surenchère dans la rigueur. De quoi accélérer la récession tant redoutée. La manœuvre consiste à faire accepter la règle d’or d’équilibre budgétaire, « objectif intangible », « obligation économique » qui « n’est ni de droite ni de gauche », comme le ressasse le gouvernement. C’est surtout un aveu d’impuissance face à la tyrannie des marchés.