Français, langue vibrante
Les Francophonies
en Limousin aiment
le verbe dans tous ses idiomes et ses états.
En dépit des difficultés.
dans l’hebdo N° 1170 Acheter ce numéro
Hier, s’est ouvert à Limoges et dans la région le festival Les Francophonies en Limousin. Ce rendez-vous a une longue histoire. On y a vu s’affirmer de grandes troupes et de grands auteurs, comme le Congolais Sony Labou Tansi ou les Québécois Robert Lepage et Wajdi Mouawad, débarqués là en un temps où ils étaient complètement inconnus. Il y a eu des débats passionnés. Il y a eu des incompréhensions : certaines années, les artistes des pays riches ne comprenaient rien aux spectacles des pays pauvres, et vice-versa. Ça palabrait et ça se querellait !
Les premières années étaient politiques. Au-delà, une francophonie fraternelle d’écrivains et d’acteurs s’affirmait en faisant craquer les volontés des États. L’Algérie, Haïti, le Vietnam ont toujours leur place, alors que le choix pourrait se limiter au Québec, aux pays africains de langue française, à la France, à la Suisse, à la Belgique… C’est ouvert. Marie-Agnès Sevestre, directrice de la manifestation depuis 2005, renouvelle cette diagonale Nord-Sud avec des Comoriens, des Afghans, des Tunisiens, des Congolais des deux pays, des Burkinabés, en même temps que des Québécois, des Français, des Suisses…
Politis : Quelle notion avez-vous de la francophonie, principe à la fois fédérateur et marqué par un passé colonialiste ?
Marie-Agnès Sevestre I Le terme de francophonie n’est pas ringard si on le repense dans le monde d’aujourd’hui. Dans les parties du monde où l’on parle français, que peut-on faire ensemble ? C’est notre objectif. Nous ne nous limitons pas à l’espace politique de l’influence francophone ; dans son histoire, le festival n’en a jamais tenu compte. Nous sommes, par exemple, ouverts au théâtre africain qui n’emploie pas le français, parce que nous nous mettons à la disposition de sociétés qui émergent et avec lesquelles nous partageons des notions essentielles : la liberté de penser, la liberté de créer, la liberté des femmes…
Dans cette édition, nous accueillons le théâtre Aftaab de Kaboul, dont Ariane Mnouchkine a favorisé la naissance et l’existence, avec deux spectacles, Ce jour-là et l’Avare. Ils sont joués en dari et surtitrés en français. Nous ne pratiquons pas la politique des missi dominici : nous n’allons pas apprendre aux autres peuples comment faire du théâtre. Les artistes africains, pour revenir à eux, travaillent entre eux, même s’ils viennent discuter et élaborer des projets avec nous. Cela peut donner des spectacles moins policés et plus rugueux.
Dans quelle mesure le festival a-t-il changé, après vingt-huit ans d’existence ?
À sa création et pendant les années de direction de Pierre Debauche puis Monique Blin, il y avait essentiellement du théâtre. En succédant à Monique Blin, Patrick Le Mauff a amplifié la place de la musique et poussé vers plus d’interdisciplinarité, ce que j’ai moi-même renforcé. Je passe des commandes à des compositeurs, comme le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf. J’ai aussi développé la danse, par des créations et des partenariats avec d’autres festivals.
Aujourd’hui, le festival est un croisement et un laboratoire. Ce n’est plus un étendard des relations Nord-Sud, revendiquant un certain type de solidarité. Je le regrette mais, du côté français, je n’ai plus d’interlocuteurs pour penser dans cette direction-là. Les Africains eux-mêmes, notamment ceux qui sont au programme de cette édition, les Congolais du Congo, ceux de la République démocratique et les Burkinabés, n’écrivent plus de la même façon. Naguère, ils réglaient leurs comptes avec les potentats locaux, la France, le colonialisme… Maintenant, ils produisent des œuvres à la fois plus personnelles et plus universelles, sans être directement dans l’accusation. Le Congolais Dieudonné Niangouna, connu pour Attitude clando et les Inepties volantes, présente à Limoges sa nouvelle pièce, le Socle des vertiges, où il interroge autant la langue et l’imaginaire que l’histoire politique. Il ne s’adresse pas à un public international mais à son public, parfois avec des références qui ne nous sont pas familières.
Longtemps, aux Francophonies, il y a eu une incompréhension entre les artistes des grands pays du Nord et ceux du Sud.
Oui. Les Québécois étaient imperméables aux spectacles africains. Le festival a contribué à rapprocher les gens du Nord et du Sud. Désormais, à Montréal, le Festival des Amériques, qui n’invitait pas de troupes africaines, le fait.
Cette année, vous recevez un auteur québécois, Michel Marc Bouchard, qui a été l’un des écrivains marquants dans l’histoire du festival.
Oui. L’auteur des Feluettes revient avec Tom à la ferme. Mais c’est un choix de l’un de nos partenaires, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, qui lui a décerné le prix 2011 de la dramaturgie de langue française.
Comment se prépare une édition de votre festival ?
Avec un temps différent de celui dans lequel on vit à Paris. Pour la plupart des projets, il y a une longue période de maturation et d’ajustements. Pour le Socle des vertiges, Dieudonné Niangouna a d’abord apporté un énorme manuscrit qui ressemblait à un roman. Nous avons beaucoup discuté. Il a tout repris à partir des portraits qu’il y dessinait et qui étaient très forts. Trouver la production a pris deux ans.
Chaque spectacle est du sur-mesure et pas du prêt-à-porter. La question de la langue ne se traite pas à la va-vite. On parle la même langue mais sans vivre dans la même culture. Et puis nous trouvons de moins en moins d’argent et d’interlocuteurs. Dans les instituts et centres culturels français à l’étranger, on ne rencontre plus beaucoup de gens capables de repérer les talents et de dégager des budgets. Ça a beaucoup changé ! On se tourne vers l’Europe. D’une certaine façon, c’est bien, l’entrée des artistes du Sud dans l’Europe.
Votre financement reste assuré par le ministère de la Culture (Drac Limousin, Délégation générale à la langue française), le conseil régional du Limousin, la ville de Limoges et le conseil général de la Haute-Vienne.
Oui, mais, en 2008, nous avons perdu 20 % de notre budget avec le retrait des Affaires étrangères. Cette participation n’a jamais été rétablie. Nous sommes à une époque où les structures ne connaissent pas le montant de leurs subventions et où certains engagements de l’État ne sont même pas tenus, comme c’est le cas dans le cadre de l’année des Outre-mer. Chaque spectacle est un pari. Total investit 10 000 euros cette année et veut discuter avec nous sur un investissement plus important pour la formation d’artistes au Congo. Mais cela demande réflexion ! Nous sommes au bord du gouffre. Nous avons épuisé toutes nos réserves.