Le ministre passe, pas la crise
Situation plutôt stabilisée à Fukushima et démission du Premier ministre Naoto Kan. Son successeur ne paraît pas mieux armé…
dans l’hebdo N° 1166 Acheter ce numéro
Le nouveau Premier ministre du Japon s’appelle Yoshihiko Noda : c’est l’ancien ministre des Finances de son prédécesseur, Naoto Kan, et lui aussi est membre du Parti démocrate du Japon, majoritaire.
Naoto Kan a jeté l’éponge, comme prévu. Impopulaire et critiqué avant même le séisme du 11 mars, il avait annoncé vendredi dernier sa décision de démissionner. Conscient d’être depuis des semaines sur un siège éjectable, critiqué pour ses atermoiements dans la gestion de la catastrophe, il avait monnayé sa reddition à ses opposants avant l’été, afin d’en finir plus rapidement : un départ en échange du vote de trois lois qui lui tenaient à cœur, dont une visant à favoriser le développement des énergies renouvelables.
En juin dernier, Naoto Kan, personnellement ébranlé par le drame, avait même émis le souhait de voir émerger une société sans nucléaire, à l’unisson de la population, qui approuvait récemment à 82 % une sortie de l’atome, mais à rebours de la majorité de l’intelligentsia politique et économique de l’archipel. Alors que les trois quarts ** des réacteurs nucléaires japonais — qui assuraient le tiers de la fourniture d’électricité du pays — sont actuellement à l’arrêt, en raison des suites du séisme ou d’opérations de maintenance, la loi sur les énergies renouvelables est en passe d’être définitivement approuvée par les parlementaires.
À l’instar du système adopté par plusieurs pays européens, dont la France, elle crée, à partir de juillet 2012, l’obligation pour les distributeurs d’énergie d’acheter à des tarifs préférentiels l’électricité renouvelable que tout producteur leur présentera à la vente.
Les contrats d’achat de l’électricité devraient a priori être signés pour une période de vingt ans. Un horizon confortable qui devrait inciter à investir massivement dans les installations de production renouvelable [^2], dont les autorités espèrent, en dix ans, une multiplication par cinq de la capacité actuelle ; ce qui représenterait in fine l’équivalent de 12 % des capacités actuelles de production d’électricité du Japon, toutes technologies comprises.
Cependant, ce legs de Naoto Kan à la nation est moins généreux qu’il n’y paraît : le montant des tarifs d’achat de l’électricité verte, point crucial de l’efficacité du dispositif, n’a pas encore été fixé, et il est prévu que la loi soit révisée dans trois ans, ce qui ne manquera pas de refroidir les ardeurs d’investisseurs potentiels.
Car le risque est réel de voir cette nouvelle stratégie énergétique rapidement remise en cause : Yoshihiko Noda hérite d’un pays en proie à une crise profonde sur le plan économique et financier, mais aussi politique. Il est le sixième Premier ministre japonais à entrer en fonction en cinq ans, et rien n’indique qu’il soit mieux armé que son prédécesseur pour faire face la crise nucléaire, qui pourrait être bien plus durable que les autres. « Pour résoudre le problème de Fukushima, reconstruire la région dévastée, lutter contre le yen cher et la déflation, il faut que tout le monde avance dans le même sens », s’est-il contenté de déclarer prudemment.
Sur le site de la centrale dévastée, ** la situation semble aujourd’hui pratiquement stabilisée. Pourtant, l’échéancier annoncé par l’opérateur Tepco dans sa progression vers une « maîtrise » de la situation est régulièrement allongé. La température des réacteurs baisse lentement, mais le système de refroidissement mis en place produit toujours d’énormes quantités d’eau très radioactive, que l’installation mise en place par le français Areva, notamment, peine à décontaminer.
Les communiqués de quasi-victoire de juin dernier sont un lointain souvenir : les pannes se succèdent, à peine 40 000 m3 d’eau ont à ce jour été traités, un quart du volume total. Quant à l’eau polluée qui pénètre dans le sol, Tepco envisage de la confiner sur le site en creusant un mur de trente mètres de profondeur destiné à empêcher la contamination des nappes phréatiques.
À l’intérieur des trois réacteurs les plus endommagés, c’est toujours l’inconnu sur l’état des cœurs partiellement ou totalement fondus. Dans l’incapacité de cerner la gravité de la situation, l’opérateur se prépare, dans un premier temps, à recouvrir les bâtiments détruits d’une structure étanche afin de limiter les rejets radioactifs dans l’atmosphère.
À l’extérieur, d’ores et déjà, une zone de trois kilomètres de rayon est promise au statut de no man’s land pendant plusieurs décennies : déjà lourdement radioactive, elle pourrait accueillir les bassins de décantation et de stockage des déchets issus de la décontamination du site.
Les plus mauvaises surprises sont attendues dans la première aire de 20 kilomètres de rayon, initialement évacuée après la catastrophe : des mesures révèlent que la radioactivité est cinq fois supérieure à la limite légale dans 30 % des sites de contrôle.
La semaine dernière, le gouvernement annonçait vouloir se lancer dans un projet pharaonique : le nettoyage de plusieurs milliers de kilomètres carrés autour de la centrale. Ce qui signifie le lessivage des bâtiments, l’excavation de millions de tonnes de terre, l’arrachage d’arbres… L’opération, qui pourrait coûter plusieurs dizaines de milliards de dollars, n’aurait pour bénéfice que d’accélérer de 10 % seulement la décroissance naturelle de la radioactivité de la région.
[^2]: Solaire, éolien, hydraulique, biomasse et géothermie.