Les deux Claude et cie

Avec leurs collègues, ils partagent une obsession : vérifier le contenu de la France et la purger des corps étrangers.

Joseph Beauregard  • 1 septembre 2011 abonné·es

Eh bien, chers camarades, c’est moi qui vous le dis, on a un sérieux problème. Et je reste poli. Vous vous souvenez que les deux Claude ont eu une poussée de fièvre patriotique à rendre jaloux le FN ? Faut dire qu’ils ont fréquenté tous les grands cerveaux de la Ve République — VGE, René Monory, Charles Pasqua, Jacques Chirac, le petit génie de Neuilly –, et ces mauvaises fréquentations, ça encourage vachement à jouer aux cons. Rappelons aussi par courtoisie républicaine que les deux Claude n’ont jamais hésité à occuper une multitude de fauteuils dangereux et, si j’ai bien compris, ça rapporte gros. Vous pouvez me passer la bouteille que je goûte le chablis ?


D’un côté, on a donc un ancien militant d’Occident qui est parvenu à écrire sa thèse sur le Droit romain pendant la sécheresse de 1976 avec son pull en cachemire sur les épaules. Ave César. De l’autre côté, on a un ancien préfet qui depuis l’école maternelle contrôle les papiers d’identité de ses petits camarades. 



Avec leurs collègues, ils partagent une obsession : vérifier le contenu de la France et la purger des corps étrangers. Tant pis si cela met une mauvaise ambiance dans le pays, tant pis si cela refroidit cruellement notre fraternité. Pas mauvais du tout, ce chablis, passez-moi la bouteille…


Nous étions en juin. De vous à moi, j’en ai bien bavé pour les arrêter dans leur délire. Avec sa fibre culinaire, notre Fouché a proposé une analyse très personnelle de l’échec scolaire : « Seuls 5 % des élèves d’origine étrangère mangent du saucisson sec, ce qui explique l’échec de 99 % de ces enfants en orthographe et en grammaire. Deux tiers de l’échec en mathématiques sont imputables au refus de manger du jambon. Si ces enfants connaissent des parcours scolaires complexes, c’est parce qu’à la fin de la troisième, 99 % d’entre eux ne parviennent pas à manger des rillettes. Enfin, 97 % des enfants préparant le baccalauréat refusent catégoriquement de manger du museau vinaigrette. » À mon grand soulagement, le Syndicat des charcutiers français a reçu cette « analyse » avec un mélange d’indignation, d’incrédulité et de sidération. Tiens, repassez-moi la bouteille…


Parallèlement, le député du XVIe arrondissement a proposé une importante réflexion philosophique sur la double nationalité. Dans son prérapport, publié le 21 juin dernier pour gâcher la Fête de la musique et le premier jour de l’été, il préconisait la limitation du nombre de doubles nationalités et demandait que chaque Français — de naissance ou par acquisition — manifeste sa volonté d’appartenir à la nation française en envoyant un chèque de 500 euros à l’UMP. Je ne vous cache pas que j’ai préféré envoyer ma facture d’électricité, c’est plus sûr. Côté double et triple nationalité, tiens, prenez mon cas. Vous savez que je ne suis qu’un faux français et que dans mes veines coule le sang de l’étranger ? Par ma mère, je suis luxembourgeois, et par mon père, suisse. J’ai un grand-père qui vient d’Andorre et un autre de Monaco. Si cela peut lui permettre de se détendre un peu, je suis prêt à faire des sacrifices, à constituer des Brigades internationales et à attaquer ces pays en plein hiver. Je suis donc allé voir Claude car j’ai bien l’intention de devenir 100 % français. Comme j’étais planté devant lui avec mon air ahuri, Claude a évoqué un « immense malentendu » en m’expliquant que la France avait toujours entretenu de très bonnes relations bancaires avec ces pays et que je ne devais surtout pas me sentir visé. Eh bien, je peux le dire, je me sens beaucoup mieux et je crois que ça va aller pour mon matricule. Passez-moi la bouteille que je fête ça…



L’esprit rassuré, je suis parti me reposer — enfin, je veux dire m’amuser. Ça faisait quelques jours que je me traînais comme un bon à rien sur la plage de Varengeville-sur-Mer, un verre dans une main, un pétard dans l’autre, quand, le 7 juillet, la radio a annoncé que Fouché allait être opéré du cœur. Mon Dieu ! J’ai immédiatement craint le pire pour la survie de la France en imaginant que l’opération pouvait échouer. J’ai commencé à lui écrire une carte postale d’adieu, mais entre les pétards, le vin blanc et les fruits de mer, vous savez ce que c’est, j’ai oublié de la finir. La semaine suivante, je me suis endormi devant la télé en regardant le défilé militaire du 14 Juillet. Tous ces drapeaux français, ça me donne le mal de mer.



 C’est notre François qui m’a réveillé : le mec est devenu complètement hystérique en entendant la lumineuse Eva proposer de lui enlever ses chars, ses avions et ses petits soldats… Je vais vous faire une confidence : j’ai bien réfléchi et il y a deux hypothèses. Soit François a des nerfs de midinette et je connais une très bonne clinique en Suisse qui peut essayer de le soigner. Soit c’est un super-comédien et il faut absolument qu’il quitte Matignon au plus vite pour entrer à la Comédie-Française. Le chablis est encore frais ? Alors passez-moi la bouteille…


Le temps s’écoulait comme dans un film d’Antonioni, alors le ministre de l’Économie a réalisé un véritable festival : il est venu presque tous les jours hypnotiser avec sa belle voix et sa langue de bois les auditeurs et téléspectateurs. On a aussi eu droit au carnaval du petit Thierry. Le mec a imaginé un fichier des allocataires sociaux pour lutter contre les fraudeurs qui mettent notre pays à genoux. Il avait à peine fini de parler que notre ministre Mediator a immédiatement confirmé la bonne nouvelle au peuple qui déprimait sec sous la pluie. Avant la fin 2011, on va donc avoir un fichier qui existe déjà… C’est beau l’UMP. Quant à Fouché, avec son cœur tout neuf, il a fixé de nouveaux objectifs d’expulsions afin d’obtenir un « résultat historique ». Voilà, c’était l’UMP pendant l’été. Allez, passez-moi la bouteille que je m’achève…

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