L’humain sous haute surveillance

En Europe et en France, le contrôle des personnes est devenu un commerce juteux. Vidéosurveillance, notamment, à tous les étages.

Anne Solesne Tavernier  et  Grégoire Normand  • 8 septembre 2011 abonné·es

L’après-11 Septembre, c’est d’abord un climat. Le tout-sécuritaire a pénétré les grands pays européens, amalgamant lutte antiterroriste, lutte contre les violences urbaines et, souvent, répression du mouvement social. Non sans débordements.


Ainsi, le rapport de l’Institut national des hautes études de sécurité consacré au marché de la sécurité dans l’Union européenne en 2008 rapporte que « la surveillance humaine représente l’activité la plus importante » de l’industrie de la sécurité.


Si les sociétés de sécurité interviennent dans un large panel d’activités comme la fourniture de matériel, la surveillance de biens mobiliers ou immobiliers, ou le transport de valeurs, elles jouent également un grand rôle dans la surveillance des personnes. Et l’articulation des secteurs publics et privés devient un enjeu grandissant pour le marché de la vidéosurveillance.


En France, l’État a engagé un programme de triplement des caméras de vidéosurveillance entre 2010 et 2012. Mais l’efficacité de la surveillance vidéo a été remise en cause par un rapport de la Cour des comptes qui souligne que « les préfets remplissent imparfaitement leurs missions quand ils autorisent l’installation de systèmes de vidéosurveillance de la voie publique sans appliquer les exigences prévues quant à la qualité des personnes habilitées à visionner les images ».

Qu’importe ! En 2009, les domaines d’activité des entreprises de sécurité privées se sont élargis (conseil en sécurité, intelligence stratégique et économique…). Le nombre de salariés de ce secteur est en constante augmentation — 147 800 salariés –, tout comme le chiffre d’affaires — 5,3 milliards d’euros. Les sociétés se multiplient et certaines réussissent à capter de véritables marchés. À titre d’exemples : Géos, dans la prévention et le management des risques ; Risk&Co, dans les conseils en sûreté et en intelligence stratégique ; ou Secopex, une société d’appui stratégique et opérationnel spécialisée dans la gestion des risques en France et à l’international.


Le fichage des personnes a également connu une évolution avec le vote de la loi Loppsi 2. En 2006, le groupe de travail sur la police et la justice présidé par Alain Bauer recensait 34 fichiers. En 2009, le rapport des députés Delphine Batho et Jacques-Alain Bénisti, mandatés par l’Assemblée à la suite du scandale Edvige, en avait répertorié 58. Mais, en 2009, le rapport de la Commission nationale de l’informatique et des libertés a critiqué une mauvaise gestion de ces fichiers par « un contrôle des données enregistrées dans les applications locales qui reste insuffisant ».

La biométrie est également un secteur en plein boom. Le lobby de l’industrie française a eu un rôle dans la législation et la généralisation des passeports biométriques. En créant en 2007 l’Agence nationale des titres sécurisés, Nicolas Sarkozy a fait de la biométrie une priorité. En quelques années, elle est devenue un enjeu industriel et économique pour des entreprises comme Morpho, Gemalto et Oberthur. Morpho (ex-Sagem Sécurité, filiale du groupe Safran), n° 4 mondial des cartes à puce, avec un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros, se dit «   leader mondial sur le marché de la sécurité   ».


Enfin, le secteur de la sécurité aux frontières et l’application accrue du plan Vigipirate depuis le 11 septembre 2001 ont permis à ces sociétés de sécurité de prospérer dans les aéroports et les gares. Dans un livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, l’objectif affiché était de « protéger le territoire des intrusions et de neutraliser les terroristes à l’étranger ».

Au printemps 2010 , le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale a mis en place Pirate-NRBC, appelé à remplacer les plans gouvernementaux Piratox, Piratome et Biotox. En Grande-Bretagne, l’envolée du sentiment d’insécurité a servi de prétexte à l’installation de scanners corporels. Cette technologie, critiquée par les eurodéputés, n’est pas encore utilisée en France. Mais pour combien de temps ?

Publié dans le dossier
11 septembre, le business de la peur
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