Mobilisation pour guérir la santé
123 personnalités de la société civile signent un texte en faveur d’une « santé égalitaire et solidaire ». Un véritable programme pour tenter de refonder un système de soins en plein effondrement.
dans l’hebdo N° 1168 Acheter ce numéro
M anifeste pour une santé égalitaire et solidaire. C’est le titre d’un travail collectif qui paraît ce 15 septembre (Odile Jacob) et que signent 123 personnalités de la société civile mobilisées pour la refonte de notre système de santé.
« Cet ouvrage est un manifeste pour l’égalité d’accès à des soins de qualité, une extension du champ de la Sécurité sociale et une promotion de la démocratie sanitaire », annoncent en introduction deux de ses instigateurs : André Grimaldi, chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière et tête de pont du mouvement pour la défense de l’hôpital public, et Olivier Lyon-Caen, chef du département de neurologie de la Pitié-Salpêtrière et par ailleurs auteur du rapport médical commandé par la défense dans le cadre du procès Chirac concluant à l’anosognosie du concerné.
« La protection de la santé dans notre pays, poursuivent les deux auteurs, implique de choisir la solidarité et de lancer un investissement collectif exceptionnel, à contre-courant des réformes entreprises ces dernières années, qui contribuent d’abord à la déconstruction des services publics. »
D’où une série de constats sur l’effondrement d’un système dont la France se glorifie depuis 1945, et une vingtaine de propositions qui font figure de programme pour une nouvelle politique de santé (voir ci-dessous). Les candidats à l’élection présidentielle sont prévenus.
Parmi les 123 signataires, se trouvent majoritairement des personnalités issues du monde médical, peu connues ou très connues, comme Irène Frachon, René Frydman, Aldo Naouri, Serge Tisseron… Mais aussi Stéphane Hessel, des comédiens (Anouk Aimée, Charlotte Gainsbourg, Vincent Lindon), des écrivains (Hélène Cixous, Jérôme Garcin, Denis Jeambar), des économistes (Jean-Marie Harribey, Michel Husson, Dominique Plihon), les sociologues Edgar Morin et Didier Fassin, Jérôme Martinez, de la Cimade…
« La population tient massivement à la Sécurité sociale », Frédéric Pierru[^2].
Répondant à l’appel lancé par André Grimaldi, Frédéric Pierru a fait partie du groupe des cinq qui ont rédigé le Manifeste, avec Olivier Lyon-Caen, Didier Tabuteau, conseiller d’État spécialiste des questions de santé, et François Bourdillon, président d’honneur de la Société française de santé publique.
« Le principe de la solidarité entre bien-portants et malades, riches et pauvres est aujourd’hui mis à mal », dénonce le sociologue, en citant la banalisation du dépassement d’honoraires pour la médecine de ville et le paiement à l’acte à l’hôpital. « Les plus modestes sont chassés vers les services d’urgences. L’hôpital est en crise du fait d’une désorganisation générale : en amont, de la médecine de ville, et, en aval, des services sociaux. La privatisation du système de soins se met en place progressivement depuis les années 2000 mais de manière peu visible car la population tient massivement à la Sécurité sociale, et en particulier à sa branche “maladie et hôpital”. Du coup, ça se fait en douce… » .
« Notre système de santé est en lambeaux », Jean-Pierre Dubois[^3].
« On a atteint un point critique en matière de démantèlement du système de soins. Il devient difficile d’éviter ce constat, y compris dans des milieux proches du gouvernement, comme on a pu le voir récemment avec la démission de Xavier Emmanuelli du Samu social. Plus aucune structure n’est à l’abri. Le pire étant les inégalités devant l’accès aux soins. Un quart des Français sont sans mutuelle. Il devient impossible de trouver à Paris un spécialiste en secteur 1. À l’université où j’enseigne, les étudiants sont de plus en plus nombreux à retarder leurs soins dentaires et oculaires. Le bout du bout, ce sont les sans-papiers et les personnes les plus désocialisées. Le principe de la Sécurité sociale qui était d’assurer à tous le droit aux soins est en lambeaux. On s’achemine vers un système à l’américaine, par capitalisation.
Pour refonder notre système de santé, on n’échappera pas à sa resocialisation. Mais on ne peut imaginer un îlot santé socialisé dans un système marchand. Il faut une réponse globale. Par exemple, quand on regarde la carte de l’obésité en France, les zones les plus touchées sont les plus pauvres. Or, on ne résoudra pas le problème uniquement avec un programme de nutrition. Il faut aussi s’attaquer aux causes de l’obésité : revenus, inégalités sociales, éducation… »
[^2]: Frédéric Pierru est sociologue et politologue, chercheur au CNRS et auteur d’ Hippocrate malade de ses réformes (Éd. du Croquant)
[^3]: Jean-Pierre Dubois est professeur de droit constitutionnel et président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.