Nous sommes en pleine régression

Je suis maître formateur depuis cinq ans. Bizarrement, il n’y a pas de formation spécifique pour exercer cette fonction. J’ai 45 ans et j’enseigne à des CM2 dans une école du centre-ville de Valence. Cette année a été éprouvante en raison d’un sentiment d’urgence permanent. Il a fallu, une fois de plus, « s’improviser » : la plupart des maîtres formateurs devaient suivre trois professeurs enseignants stagiaires (PES) : observation dans la classe du jeune enseignant toutes les trois semaines, analyse critique des séances observées, échange succinct (et frustrant) sur une ou deux questions jugées prioritaires, et envoi d’un rapport de visite à l’inspecteur de la circonscription. Je ne parle pas du temps passé par mail ou au téléphone avec les PES et du temps « informel » pris sur la pause déjeuner, par exemple… Mais comment laisser des débutants dans le désarroi, a fortiori quand ils n’ont reçu aucune formation, comme les PES de cette année ? En parallèle, il faut continuer à faire classe. Résultat : l’épuisement s’installe. Voire un dégoût qu’on vit mal quand on a choisi ce métier par vocation.

Certains maîtres formateurs ont été tentés de démissionner. Sur les contenus de formation, nous sommes en pleine régression. Heureusement, nous avons un public motivé : les étudiants ont obtenu un master, ils sont réactifs et ont un esprit d’analyse et de synthèse aiguisé. Mais seront-ils de bons enseignants s’ils ne maîtrisent pas la didactique ? Sauront-ils faire les bons choix dans leur pratique de classe ? On voit s’installer une pédagogie seulement basée sur la transmission des savoirs – tellement plus simple et plus rassurante – au détriment d’une pédagogie qui fait le pari de l’intelligence et forme des citoyens critiques.

L’IUFM, système imparfait, avait le mérite d’offrir un bagage théorique indispensable et indissociable de la pratique de classe. Ce va-et-vient constant permettait d’apprendre à apprendre… Les PES avaient des clés pour observer des classes et questionner en s’appuyant sur une réflexion déjà avancée et construite en IUFM. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et lorsqu’ils viennent « observer » nos classes, ils ne savent pas quoi regarder… Ils ont aussi perdu l’accès aux textes fondateurs de l’école du XXe siècle. Ce socle de références leur permettait de mieux appréhender les problématiques de l’éducation, de savoir pourquoi ils étaient là ou pourquoi l’école n’est pas faite que pour les « bons » élèves…
Réformer l’école est nécessaire, et la majorité des enseignants sont prêts à participer. Mais seulement si les bénéficiaires des efforts et du changement sont les élèves.