Propagande et réalité

Denis Sieffert  • 1 septembre 2011 abonné·es

C’est chaque année la même histoire. Les universités d’été suscitent un malentendu entre les militants et la presse. Les premiers ne se reconnaissent que très imparfaitement dans les comptes rendus que les médias font de leurs travaux. Et on peut les comprendre. Ils ont planché des heures durant dans des « ateliers » ou des « forums » sur la crise économique et sociale, la fiscalité, la gestion de l’eau, le nucléaire, la situation internationale — bref, du « lourd », du « consistant » –, et ils retrouvent dans les médias une scène de vaudeville qui ne fait rire personne entre deux de leurs dirigeants. D’où un sentiment d’injustice. Mais à qui la faute ?


Lorsqu’à La Rochelle, François Hollande sèche le discours inaugural de Martine Aubry, il sait ce qu’il fait. Et lorsque Martine Aubry s’invite dans un « atelier » animé par François Hollande, forçant entre les deux rivaux une embrassade théâtrale, elle n’ignore pas (si elle ne les a pas elle-même convoqués) que micros et caméras sont à l’affût. Le message est pauvre, mais il est cyniquement maîtrisé.

Une semaine plus tôt, à Clermont-Ferrand, les militants écologistes avaient éprouvé eux aussi quelques aigreurs. Au lieu de rendre compte de la richesse des débats de fond (j’en témoigne, j’y étais), de la jeunesse et de l’enthousiasme des participants, la presse a surtout retenu le brûlot de Laurence Vichnievsky se prononçant dans Libération, le 18 août, contre le retour de la retraite à 60 ans ( « une lubie », écrivait-elle). Une porte-parole qui, sur un sujet aussi capital, dit l’exact contraire du mouvement dont elle a reçu mandat, ça n’est certes pas banal.



Mais, encore une fois, à qui la faute ? Certes, les dirigeants écologistes ne peuvent être soupçonnés ici de mise en scène. On peut toutefois leur reprocher une certaine légèreté dans le choix de ceux qui doivent les représenter devant les médias. Ignoraient-ils à ce point les opinions de Mme Vichnievsky ? Finalement, de toutes les formations de gauche, c’est le Parti du même nom qui s’en sort le mieux (pour cette fois) dans ce jeu souvent pervers avec les médias. Dimanche, à l’heure du journal télévisé, il est resté de son « Remue-méninges » grenoblois un bout de vraie politique, avec l’appel de Mélenchon à un débat de toute la gauche, du NPA au Parti socialiste. Et on imagine que c’est exactement ce que voulait faire passer le candidat du Front de gauche, qui réussit là un habile correctif d’image.


Mais si les politiques maîtrisent les médias finalement mieux qu’ils ne le disent — parfois pour en faire un mauvais usage –, il n’en reste pas moins vrai que la propagande existe. Quelques journalistes en vue font le boulot… Le principal ressort de leur discours est toujours le même : la fatalité. L’inéluctabilité. La résorption de la dette est aussi impérieuse que le report de l’âge de la retraite. Des lois d’airain de l’économie ou de la démographie réduisent la démocratie à néant.


Mélenchon, par exemple, le conteste. Et, avec lui, les économistes d’Attac notamment. À l’inverse, les socialistes se sont déjà enfermés dans une contradiction que la droite n’aura de cesse d’exacerber. À première vue, leur projet est plutôt sympathique : trois cent mille emplois jeunes, la revalorisation du Smic, l’augmentation du budget de la culture… Et d’autres propositions authentiquement de gauche. Mais ce généreux catalogue, hélas, est déjà pris en tenailles par l’adhésion de Martine Aubry comme de François Hollande à l’impératif de ramener le déficit à 3 % du PIB dès 2013. Enfermés dans la logique de la droite, mais avec des propositions de gauche, ils sont une proie facile pour leurs adversaires. En face de chaque dépense sociale nouvelle, les voilà sommés (par de méchants journalistes) de dire où ils prennent l’argent puisqu’il faut dans le même temps résorber nos déficits.



Un vrai débat sur la dette fait cruellement défaut. Mais les turpitudes de l’information ne peuvent rien contre l’injustice ressentie par l’opinion. Le vécu. La réalité d’inégalités qui se creusent scandaleusement. Une propagande subtile peut différer l’explosion, elle ne pourra pas éternellement l’empêcher. C’est sans doute ce que certains grands patrons ont compris. Il nous a été servi une interprétation infantile de l’initiative du grand communicant Maurice Lévy et de son aréopage de milliardaires « désireux » de payer plus d’impôts. Et si c’était la peur d’une rupture sociale majeure qui guidait ces grosses fortunes plutôt qu’un élan soudain de générosité ? Quelque chose comme la lucidité tardive du duc de Liancourt (vous savez : « C’est une révolte ? — Non, Sire, c’est une révolution. » ). La Grèce, les révolutions arabes, les émeutes en Angleterre, les Indignés espagnols… cela crée un climat. Ce fond de l’air, légèrement rouge, la France le respire aussi.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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