Sur la plage empoisonnée
Prolifération d’algues vertes cet été en Bretagne, et émanations mortelles pour des dizaines de sangliers. Le timide plan de l’État reste sans effets.
dans l’hebdo N° 1166 Acheter ce numéro
Cet été, la découverte sur la plage de Morieux (Côtes-d’Armor) de 36 cadavres de sangliers, probablement asphyxiés par le sulfure d’hydrogène, a vivement relancé la polémique sur la prolifération des algues vertes en Bretagne, dues aux nitrates d’origine agricole. En 2009, le gaz toxique dégagé par la putréfaction de ces végétaux avait tué un cheval et un employé chargé de nettoyer les plages. L’invasion saisonnière, qui ne reflue pas, empoisonne de plus en plus le climat local.
Les écologistes dénoncent inlassablement le modèle agricole de la région : sur 6 % du territoire agricole français, elle concentre 60 % des porcs du pays, et leurs lisiers, épandus sur les terres, saturent les cours d’eau en nitrates, à une concentration moyenne de 30 milligrammes par litre — dix fois supérieure au taux naturel.
De leur côté, les agriculteurs, généralement soutenus par les élus locaux, mettent en avant leurs efforts et s’irritent des dénonciations. « À Morieux, les éleveurs sont craints, rares sont ceux qui osent les critiquer ouvertement », constate un observateur.
Alors, comme d’habitude, les regards se tournent vers l’État. En février 2010, semblant prendre conscience de la gravité de la situation, il avait lancé un plan visant la réduction du flux de nitrates de 30 à 40 %. Une enveloppe de 134 millions d’euros sur cinq ans a été affectée au nettoyage et à la préservation des zones les plus touchées.
En 2011, le plan s’est concentré sur des actions curatives, tel le ramassage des algues, financé à 80 % par l’État, les 20 % restants étant à la charge des collectivités, ce qui est parfois très lourd pour elles. Fin juillet, près de 40 000 mètres cubes avaient été collectés. Et la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, demandait la fermeture de toutes les plages qui ne pourraient pas être nettoyées dans les vingt-quatre heures. La mesure semble n’avoir été appliquée qu’à Morieux, malgré les risques sanitaires : il ne faut pas faire fuir les touristes.
« L’État n’intervient qu’en traînant les pieds, déplore Jean-Paul Guyomarc’h, de l’association Eau et rivières de Bretagne, alors qu’il faudrait une volonté pérenne et politique. » Les associations voient surtout que le volet préventif est loin de répondre aux attentes. Des « contrats de territoire », négociés entre les acteurs locaux et destinés à réduire fortement les fuites de nitrate, ont été prévus pour les huit baies les plus polluées du littoral breton : ils n’ont été validés pour l’instant qu’à Lannion et à Saint-Brieuc — et encore, avec des restrictions qui font douter de leur efficacité à terme.
Parallèlement, malgré l’opposition des associations et d’une grande majorité d’élus locaux, le gouvernement projette d’assouplir les règles d’épandage du lisier afin, prétendument, d’en réduire la concentration. Conséquence : 20 % des terres agricoles touchées en plus. « Inique ! Un coup de poignard dans le dos, peste Jean-Paul Guyomarc’h. C’est une atteinte à tous les projets de réduction de la concentration en nitrates en cours. » Début juillet, Nicolas Sarkozy avait donné son point de vue, défendant des agriculteurs « non coupables » de la plaie des algues vertes contre les « intégristes » de l’écologie…
L’État prévoit aussi de développer, en amont, un plan de méthanisation des lisiers. « Fausse piste », clament les associations. Car ce procédé, qui produit du biogaz à partir de déchets organiques pour produire de la chaleur et de l’électricité, ne fait pas disparaître les nitrates. Pour Jean-Paul Guyomarc’h, plutôt que d’offrir des béquilles à l’agro-industrie intensive, il faut « réduire les effectifs des animaux et faire évoluer les cultures », ce qui ne découlera que d’une prise de conscience collective soutenue par des aides et des retours financiers. Des moyens que les collectivités n’ont pas. « L’État est le grand responsable de ce fiasco car il n’a jamais anticipé le développement de l’agriculture intensive, juge Jean-Paul Guyomarc’h. Mais personne ne veut se mouiller, surtout dans cette période électorale. »