Un besoin urgent de légitimité
L’Autorité palestinienne cherche à s’imposer, en dépit d’un contexte diplomatique tendu et d’une forte contestation populaire.
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«N ous allons aux Nations unies non pour ouvrir une guerre, insiste Sabree Saidam, cadre dirigeant du Fatah, mais pour construire du consensus. » Face aux critiques internationales, voilà au moins un point sur lequel les représentants palestiniens espèrent être clairs.
Ainsi, si Tel-Aviv et Washington continuent de voir dans l’initiative palestinienne une tentative pour délégitimer l’État hébreu, la plupart des Palestiniens considèrent qu’il s’agit davantage, pour l’Autorité, de regagner sa propre légitimité. « L’Autorité palestinienne ne peut pas ne pas aller aux Nations unies, note Jamal Juma’, coordinateur de la campagne Stop the wall. Elle en a un besoin urgent. »
Deux ans après l’annonce du plan du gouvernement d’en finir avec l’occupation en 2011, aller à l’ONU dans un contexte d’équilibre des forces improbable interroge les Palestiniens sur la stratégie choisie. Et sur ses objectifs véritables. « L’Autorité a réussi à fermer toutes les portes derrière les Palestiniens et à leur faire croire qu’aller à l’ONU était la seule solution ! », s’insurge Mourad, membre du Mouvement de la jeunesse indépendante. En réalité, alors que le veto américain ne fait de mystère pour personne, l’initiative permet à l’Autorité de revenir dans le jeu des pourparlers. Après le scandale des documents concernant les négociations secrètes avec Israël, « cette campagne lui apporte une certaine légitimité », constate Muhannad, Palestinien originaire de Nazareth.
Au-delà des frontières, encore virtuelles, de l’État, il s’agit aussi de parer aux transformations qui bouleversent les forces en présence. Ainsi, « ce qui se passe dans le monde arabe aura davantage d’impact sur la Palestine que cette reconnaissance », constate Muhannad. En perdant Moubarak, son principal soutien et le plus grand ennemi du Hamas, l’Autorité a perdu beaucoup. Tandis que la politique égyptienne est susceptible de changer à tout moment, l’Autorité palestinienne a tout intérêt à agir. Et à agir vite.
En mai 2011, à Ramallah, une partie de la jeunesse a, elle aussi, commencé à manifester pour demander la réunification nationale. Mourad participait à la contestation. « L’Autorité essaye de reprendre la main en donnant aux Palestiniens de quoi s’occuper. » Selon lui, « elle essaie de développer un discours révolutionnaire, en accord avec l’air du temps, mais elle mène une contre-révolution. En septembre, nous verrons les employés de l’Autorité dans la rue avec des photos d’Abbas, comme dans les contre-manifestations du Caire ».
Car, en aparté, la légitimité de l’Autorité palestinienne fait débat. De fait, comme le reconnaît Sabree Saidam, « elle n’est plus une entité légale pour mener les négociations ». Face à ces limites, plus institutionnelles que structurelles, « que lui reste-t-il ?, s’interroge Jamal Juma’. Mettre fin au statu quo ou continuer en appelant au préalable à un État ? ».
Dans ce contexte, le rehaussement de l’Autorité au statut d’État risque fort de pérenniser le système hérité d’Oslo. « Lorsque nous manifestions en mai, raconte Mourad, quelqu’un a dit dans le mégaphone : “Nous ne voulons plus d’Oslo.” Les services de sécurité se sont jetés sur lui. Pourquoi ? Parce que ces gens protègent Oslo, qui leur a donné du travail. » Voilà pourquoi le mouvement de Mourad appelle à la tenue d’élections au sein du Conseil national palestinien (CNP), « pour construire une nouvelle politique ». À des lieues de celle menée par le gouvernement au prix de l’affaiblissement de la société civile.
Musa Abu Maria, responsable du Comité populaire de Beit Ummar, un village près d’Hébron, reste sceptique quant à l’appel à la manifestation lancé le 27 juillet par Mahmoud Abbas. Dans ce village où des manifestations pacifiques contre l’occupation se déroulent depuis 2006, « les gens parlent beaucoup des révolutions », précise Musa Abu Maria.
Mais, en réponse aux menaces israéliennes, l’Autorité palestinienne a interdit les manifestations dans les territoires placés en zone A, sous son administration. Un non-sens qui exaspère Jamal Juma’ : « Comment voulez-vous qu’il y ait un soulèvement populaire si vous n’autorisez pas les gens à manifester ? » Chiffres écrasants : 70 % de la population de Cisjordanie se trouve en zone A, ainsi que 95 % des réfugiés. « Si les universités et les camps ne peuvent pas bouger, que voulez-vous ? Que quelques villages fassent la révolution ? » Effet direct de cette politique : la destruction du mouvement civil.
Mais cette légitimité, ainsi acquise, ne reposera-t-elle pas sur un château de cartes ? L’Autorité ne pouvant pas prendre le risque de rencontrer des opposants dans sa démarche, un semblant d’accord avec le Hamas a été conclu le 27 avril 2011. Sans que les Palestiniens y croient vraiment. « Le Hamas fait preuve d’opportunisme, constate Jamal Juma’. En disant : “Nous acceptons mais vous serez responsables de tout ce qui arrivera”, il sait déjà que l’Autorité joue avec le feu. »
Il n’y a cependant aucune fatalité pour que l’offensive diplomatique palestinienne se traduise par l’affaiblissement du mouvement civil. Mais beaucoup de Palestiniens le craignent. Même si, dans l’immédiat, l’initiative de l’Autorité présente des avantages non négligeables : unité au moins de façade avec le Hamas (dont un leader est du voyage de New York), isolement accru d’Israël, embarras des grandes puissances… Et même si la reconnaissance de l’État par l’ONU procurerait un statut plus avantageux à la représentation palestinienne [^2] et offrirait de nouveaux moyens d’action dans les instances internationales. Pour les changements sur le terrain, la fin de l’occupation et un tracé de frontières, il faudra encore attendre. Mais combien de temps encore ?
[^2]: Immunité diplomatique des dirigeants, possibilité d’adhésion aux organisations internationales, et de porter plainte devant la Cour internationale de justice.ww