À contre-courant / Dette: pour un audit citoyen
dans l’hebdo N° 1174 Acheter ce numéro
Chacun sait qu’en 2007-2008, seule l’intervention massive des États a évité que la crise financière ne se transforme en cataclysme. Mais les coûts du sauvetage de la finance et de la récession ont fait exploser les déficits et les dettes publiques. Les acteurs financiers, laissés libres de leurs mouvements, ont alors réussi la prouesse de transformer leur crise en une « crise de la dette publique ». Les États ont été sommés par les « marchés » et les agences de notation de réduire leurs dépenses à marche forcée.
Ces politiques d’austérité sont injustes car elles font payer la crise de la finance par les catégories les plus précaires et les plus défavorisées. Elles sont inefficaces : menées simultanément dans toute l’Europe et aux États-Unis, elles enfoncent les économies dans la récession. Elles bloquent toute perspective de transition écologique et énergétique. Leur objectif réel n’est pas de sortir de la crise, mais de porter un coup décisif à l’État social.
La résistance est difficile. Aujourd’hui le chantage à la dette publique pèse lourdement sur les possibilités d’action collective. Si on a trop dépensé, ne doit-on pas payer ? Si les prêteurs ne veulent plus prêter, comment financer les services publics ou les retraites ? Les citoyens sont profondément inquiets. En même temps, ils ne croient pas à l’histoire qu’on leur raconte, selon laquelle la crise serait la faute des États qui devraient maintenant quémander les financements auprès des spéculateurs et des banques.
C’est pourquoi plusieurs associations, syndicats et personnalités ont décidé d’initier un audit citoyen de la dette publique (1). L’audit est un processus de mobilisation de la société civile à partir de la question de la dette publique, visant à replacer dans le champ du débat démocratique des choix qui en sont aujourd’hui soustraits. Car la « crise de la dette » pose avec une nouvelle acuité la question de la démocratie. Aujourd’hui, au plan national et dans les collectivités territoriales, toutes les catégories de dépenses publiques sont discutées et rabotées : retraites, emplois publics, dépenses de santé et de solidarité, investissements, etc. Toutes sauf une : la charge de la dette publique.
Tout se passe comme si les droits des rentiers étaient seuls indiscutables. En Europe les exigences insoutenables et imprévisibles des « marchés » dictent les politiques publiques au jour le jour. Ce déni quotidien des principes démocratiques élémentaires n’est pas acceptable. L’audit citoyen vise à permettre aux citoyens de se réapproprier la question de la dette publique, et les grandes questions de politique économique, comme des enjeux démocratiques. Il s’agit d’engager un examen public approfondi de quelques questions clés. D’où vient la dette publique ? Une partie, et laquelle, peut-elle être considérée comme illégitime, c’est-à-dire contractée au mépris de l’intérêt général et, à ce titre, faire l’objet d’une annulation ? Qui détient les titres de la dette, et comment alléger sa charge sans spolier les petits épargnants ?
En nous mobilisant partout, dans nos entreprises, nos villes et nos quartiers, pour apporter nos réponses à ces questions, nous affirmerons, à l’instar des Indignés, que nous ne sommes pas des jouets entre les mains des actionnaires, des spéculateurs et des créanciers, mais des citoyens, capables de délibérer ensemble de notre avenir.